"Comment
vas-tu ?
Ils s'étaient
retrouvés comme s'ils ne s'étaient quittés qu'un court instant, après une sorte
d'entracte de cinéma, ou un arrêt de jeu entre deux sets de tennis, le temps de
boire un verre ou de prendre une douche. Il sentit une petite réticence
lorsqu'il lui proposa un rendez-vous, une sorte de gêne imperceptible,
peut-être aurait-il du attendre quelques jours de plus, mais la voix de Manfred
était si enjouée, cela allait de soi que l'on se revît.
Maintenant, il était là, dans le salon de la Chancellerie et il avait hâte de le
rencontrer. Un journal traînait sur la table basse, il le prit machinalement,
il y avait des photos des vallées bavaroises, il porta sa main à son front, des
souvenirs lui revenaient, cette traversée de l'Amper pendant ces
vacances... Non... non ! dit-il, cherchant à chasser ces visions, mais c'était
plus fort que lui, il sentait encore la pression du menton de Manfred sur la
saignée de son bras, il se revoyait tentant, à la nage, de le ramener sur la
berge, il s'entendait lui dire : -Tiens- moi fort, Manfred, nous arrivons. Il
sentait la pression de ses mains, de ses bras sur son corps, à l’étouffer.
Ils étaient
tombés à l'eau après une bagarre pour rire dans le canoë. Il sourit à ce
souvenir, puis son visage devint plus grave, il y avait cet incident auquel il
ne voulait pas penser, mais l'été avec ses champs, ses allées de peupliers et
de sapins sous le soleil, dans cette campagne fleurie au bord du lac s'imposa à
lui avec le souvenir de leur nudité lorsqu'ils basculèrent dans l'eau glacée,
son saisissement lorsqu'il vit que Manfred se noyait parce que par bravade il
n'avait pas osé lui avouer qu'il ne savait pas nager.
-Tu aurais dû
me le dire. Il le revit se détournant comme
pour pleurer. Devant cette détresse, il eût honte de son reproche dans un élan
il l'avait étreint, embrassé. Son éducation puritaine aurait dû le retenir,
mais cela avait été instinctif. Il s'était levé et regardait des enfants
s'ébattre sur la pelouse sous l’œil de gouvernantes anglaises... Puis, tout se
brouilla à nouveau, son pouls s'accéléra, il revivait sa surprise devant leur
érection impudique, tendre, inattendue, cette chaleur qui montait en lui,
l'étourdit, il serra les poings... cette
attraction fut si forte qu'ils se rejetèrent à l'eau pour réfréner la brutale
montée du désir qui les envahissait. Il entendait encore les cris confus de
Manfred, il revoyait son regard trouble qui lisait en lui, ce qu'ils
découvraient en eux...
- Cher Helmut !
Manfred par dessus son immense bureau lui tendait la main, souriant. Mais
Helmut restait troublé, courant derrière ses idées, cherchant quoi dire qui
restât dans le ton, Manfred devant cet embarras sauta sur des phrases toutes
faites."
Extrait d'UNE ANNEE A PARIS ou LE VOYAGE DE DORIAN;
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