vendredi 25 mai 2012
"J'ai traversé l'Italie..." Extrait de "Milley Brose" de HZ
"J’ai traversé l’Italie et l’Europe avec elle. C’était une compagne sûre. Je lui faisais confiance. Elle a déjoué des pièges plusieurs fois. Surtout cette nuit-là où sous une pluie battante, sur l’autoroute du Sud, la voiture qui était sur la file du centre s’est déboîtée brusquement sur la gauche et a risqué de me percuter. J’ai freiné. Elle s’est assoupie et n’a pas bougé. J’avais le contrôle de la direction. Le gars s’est réveillé de sa brusque torpeur et s’est reporté sur sa file… Je l’aimais bien, comme j’aime les tableaux, le cristal de baccarat, les Saxe, le luxe. Elle, elle faisait partie du luxe comme en parlait la pub. Ce n’était pas l’inconfortable Ferrari, ou l’étonnante Maserati, ou d’autres bagnoles plus époustouflantes. Non c’était une bagnole magnifique, confortable et sûre. Une fois, si je peux lui prêter une âme, elle aurait pu être jalouse, c’était ce jour où pressé par une sortie de film à Grenoble, je n’ai pas eu d’autre solution que de foncer avec une SM-Maserati à 214 kmh (c’était encore le temps d’aucune limitation de vitesse sur l’autoroute) pour y porter une copie…Autrement je ne peux lui faire aucun reproche. Je l’ai gardée et soignée un grand nombre d’années comme on garde et on soigne un Husky qu’on aime. Si l’on regarde bien une voiture on s’aperçoit qu’elle a deux yeux, une bouche, un nez et un grand front, le pare-brise. Un pas de plus et on lui parle et lui prête la parole, des intentions comme dans les films de Walt-Disney avec la Coccinelle qui, elle, prenait des libertés de vie cinématographiques intéressantes. Mais en dehors de ce côté fantastique, il y a qu’elle reste tout à fait présente, comme un truc nécessaire, une compagne de tous les jours qui peut même provoquer la jalousie de l’être que l’on aime, tant on en prend soin. J’ai remarqué que les bébés s’endorment à son balancement et à son ronronnement, que les enfants chantent en accompagnant la maman ou le papa au volant. Je me souviens que sur une route de Suisse tout à coup la radio a donné « La Poupée qui dit non, non, non ! » de Michel Polnareff, et que cela a été une explosion d’accompagnement dans la voiture avec hochements de tête et « Non,non,non » répétés. Puis une autre fois, en remontant du Midi, « Suzette » de Dany Brillant, cela a fait un effet identique avec des ados. Mais les ados en ont marre de leurs parents. Ils ont marre de se laisser transbahuter avec la maman ou le papa au volant, qui dirige tout : où on va, où on s’arrête etc. Ils ont bientôt honte d’être pris pour des petits animaux que l’on trimbale sur les lieux de vacances, à des « boom » etc. Alors ils se ramassent, se cachent sous les vitres pour ne pas se faire repérer par les copains, les copines. C’est l’âge du scooter plus que du vélo, et puis vite après vient l’âge de l’indépendance, de « Je ne vous connais plus ». La voiture tant aimée est rejetée par les jeunes. Elle est « ancienne », démodée, elle n’est plus « in »… Ils lorgnent sur les nouvelles bagnoles des magazines. Ils rêvent filles, fric, voiture pour s’exhiber, mettre la radio à fond, péter… Mais les bagnoles ne sont pas toutes les mêmes. Ils ne le savent pas encore… Je ne le savais pas moi non plus. Il a fallu que j’ « apprenne » en passant de bagnole en bagnole. Et puis soudain il y en a une avec laquelle cela fonctionne bien, mieux qu’avec les autres. Comme les êtres humains, il y a ceux que l’on découvre au fur et à mesure qu’on les fréquente, qui ont des trésors cachés. Mais je n’oublie pas aussi les bagnoles que l’on devrait éviter. Il y a comme ça des bagnoles déséquilibrées, qui trahissent dans un virage. La cata qui peut arriver à tout moment, dès que le moteur vrombit. La bagnole devrait alors murmurer « Prudence, prudence !» et le cerveau nous renvoyer indéfiniment pendant la conduite un signal d’alarme. Songé au film de Steven Spielberg « Duel ». Le camion qui poursuit la voiture du héros, c’est la conscience du danger à tout instant. On ne peut pas rouler tranquille cheveux aux vents sur une route déserte en plein Arizona ou ailleurs.
Pourquoi la Lancia s’est-elle installée dans mon esprit ? Pourquoi ai-je songé à tout cela ? Je n’essaie pas d’analyser, de comprendre. Des paysages monotones, sauvages défilent."
Extrait de Milley Brose
H.Z.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire