- J’entends dans ce silence ensoleillé ma voix
d’enfant :
-Papa, pourquoi la guerre ?
"J’ai dix ans. Nous sommes dans le petit
kiosque-bibliothèque de la plage. Papa bavarde avec Mme Lavile. C’est elle qui
s’occupe de la bibliothèque. Ils parlent grec. Elle est tout rire, toute
gaieté. Je sens qu’ils sont heureux de parler entre eux, sans s’occuper de la
dame qui furète près des étagères et qui leur jette des regards méchants. Dans
des revues posées sur la table centrale il y a des photos de massacres, des
gros canons de la Grande Guerre que l’on tire dans la boue, les uniformes sont
laids, les baïonnettes aiguisées comme des lames. Je sais que mon grand-père y
avait participé, parce qu’un jour en fouillant dans la chambre de maman,
j’avais trouvé dans le tiroir de la commode, dans une boîte avec un paysage de
bambous, de vieilles croix parmi de vieux papiers. Questionnée, maman m’a
répondu : « C’est de mon papa… » Je ne suis pas allé plus
loin ; la voix de maman avait trébuché. Ces médailles de bronze avec leurs
vieux rubans vert et rouge, m’impressionnaient. C’était comme quelque chose de
dangereux et de mystérieux qui réveillait un autre monde. J’ai tout refermé, et
je suis sorti de la chambre à petits pas.
Après avoir « kali-kala » avec Mme Lavile,
en revenant par la plage, papa a dit :
« Mon petit, il y a toujours des guerres, et il
y aura toujours des guerres. Tu verras quand tu seras grand. Les hommes sont
méchants, durs. Il faut que tu apprennes à te battre, à être fort. C’est pour
cela que tu dois travailler…apprendre… » "
Extrait du roman "La vie de Milley Brose" Henry Zaphiratos
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