"- Nanterre, Assas, Jussieu, ça barde partout. On va tout foutre en
l’air, c’est la révolution prolétarienne ! Vive la fin du
capitalisme ! Vive Mao ! Vive le petit livre rouge !
Il est blême de joie. Son visage émacié fulmine de bonheur.
Nous courons avec lui à la réunion de Sartre. Des camions avec des
étudiants, brandissant des drapeaux rouges et le poing, passent sous les
fenêtres des bourgeois en chantant l’Internationale.
Pendant que Sartre, la lippe pendante sous sa cigarette, et le regard
bigleux, discourt dans la grande salle, Ethel dévore Archie des yeux, moi, je
n’existe plus. Avec sa petite barbe blonde, sa fine moustache, son nervosisme à
la d’Artagnan révolutionnaire, il la fascine, je le vois bien. Je m’en fiche
intellectuellement, mais j’aime pas ça. Elle va tomber dans un de ces amours
minables qui ne m’intéressent pas. Une sorte de complicité dans le crime, dans
la destruction, les rapproche. Je veux qu’elle reste elle-même. Ce qu’elle a
sorti à son père était très bien, et je l’admire de foutre en l’air son monde,
cette tendresse paternelle pour cette aventure qui est là, devant nous. Mais
pas la folie bolchevik !
J’aime Ethel.
A travers les vapeurs des gaz lacrymogènes, belle, intrépide, elle passe des
pavés que d’autres descellent dans la furie, à Archie. Elle va jusqu’au bout
d’une logique à laquelle je n’adhère pas. Oui, pour notre liberté, mais non à
cet enfermement dans un système. En courant je lui ai expliqué mes raisons, je
lui ai dit que je me battais avec elle pour la libération de la femme,
l’égalité des sexes, pour un autre monde, plus juste, tolérant, mais que
c’était absurde de suivre les mots d’ordre de « La Cause du peuple »,
que c’était une dictature, celle d’un soi-disant prolétariat, que les
gauchistes voulaient instaurer ; qu’il n’y avait qu’à voir ce qui se
passait chez Mao, en Chine ! Rien n’y faisait. Archie, du haut de son aura
héroïque, était le plus beau, le plus romantique des révolutionnaires. Elle
respirait près de lui l’air des cimes. Elle revoyait la villa de Neuilly, les
meubles Art-déco, les domestiques de ses parents, elle entendait la componction
qui tombait des après-midi de thé, dans le salon de sa mère. "
Extrait de "Un jeune homme sans importance" de Henry Zaphiratos - Htz-Athéna Editions
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