C'est le livre d'un grand écrivain. Il est foisonnant de vie, de réflexions, et comme en suspension entre plusieurs mondes : le monde africain de Djibouti, celui de l'Amérique latine, celui de l'Asie avec le Cambodge d'après l'intello massacreur Pol Pot, les Philippines, et le monde futile et angoissant du théâtre de l'Aide-mémoire de Jean-Claude Carrière, Richard III de Shakespeare. Mais le monde réel de l'auteur c'est la mer, la "Jeanne d'Arc", l'uniforme de capitaine de frégate qu'il endosse, c'est la pensée, la vie en soi plus que la vie devant soi. Ce qu'il y a d'extraordinaire dans ce livre, c'est la somme de plaisir et de travail pour rentrer dans l'âme des pays où ses pas le portent au gré des voyages, des films où il "joue". Ce sont les "à-côtés" que le divers traiterait à la légère, sans se donner l'humilité de comprendre. L'auteur a ouvert grands les yeux sur les massacres de la conquête espagnole et portugaise en Amérique du sud qui est devenue "latine", les peuples pré-colombiens y ayant perdu leur culture, et pour une grande part leurs langues. Il écrit comme Blaise Cendrar en entrant au fond des choses avec ces femmes terrifiantes comme cette Inés de Suàrez. Au Cambodge il est ébloui par Angkor, mais vit la misère, le chaos d'un pays détruit par des intellos, fils de la bourgeoisie, formés à l'Université de Montpellier qui deviendront les tueurs de l'Angkar qui va détruire le Cambodge, pays que les Français avaient sauvé du dépeçage entre le Siam et les Viêtnamiens au XIX° siècle, pays du sourire et de la paix pendant cent ans, sourire et paix détruits par la guerre américaine au Viêtnam, et étrange retournement de la situation, pays restauré par l'intervention viêtnamienne qui a chassé le régime mortel de Pol Pot et Ieng Sary.
Bernard Giraudeau vit un rêve sur la "Jeanne". Rêve qu'il nous communique, c'est la paix, la tranquillité de l'équilibre. Tout est ordonné, organisé pour une fête immuable, celle de la mer et de la Royale. Il se souvient de ses débuts, de son travail dans les machines, maintenant, il est là-haut sur le pont, dans la cabine de l'amiral, près du Pacha. Il rêve. Il aurait dû continuer son rêve, et se détacher
de ce qui le travaillait, le théâtre.
Je l'ai vu dans des films, je le préfère dans son livre.
Je ne l'ai pas vu dans ses pièces. Il a dit l'angoisse des textes, des répétitions, de "fabriquer" et de ne pas être "le personnage". Dérisoire Richard III qu'il cherche
à travers le film dans lequel il tourne "L'Empire du tigre", au Cambodge. Richard III
et ses milliers de vers à apprendre, pour être un "autre", alors qu'il est si près de nous dans ces mots qu'il écrit à travers ce texte à une inconnue. Une Inconnue qu'il a aimé, peut-être désiré aimer.
Les pages sur Henri de Monfreid, Djibouti, Obock, sont lumineuses. Calmes. Ses pages sur le voyage La Goulette-Djibouti, sont des pages d'anthologie, dignes des plus belles pages de Pierre Loti.
Henry Zaphiratos
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