J'avais douze ans, Monsieur Yang, un ami chinois de mes parents m'avait offert un livre pour mes vacances, c'était "La fille du capitaine". J'ai commencé à le lire dans la grande maison où j'étais seul avec ma petite soeur et la nounou de celle-ci, quand soudain dans un vrombissement d'enfer des avions ont lâché des bombes à quelques centaines de mètres. C'était des avions japonais. Nous entrions dans la guerre. J'ai couru à perdre haleine en tirant par la main ma soeur. Nous nous sommes réfugiés dans un grand champ à découvert. Le silence est venu. J'ai perdu mon livre.
Je l'ai retrouvé dans une librairie il y a peu. Je me suis dit il faut que je le termine ou que je le lise, ne sachant plus rien de l'histoire avec ce cataclysme. Je l'ai lu. J'ai été transporté dans la Russie de Catherine II, au temps des nobles, des serfs, de l'usurpateur Pougatchev, à Kazan, Bielogorsk, sur la Volga. J'ai vécu les aventures et les amours du jeune Enseigne Pierre Andréievitch Griniov. Ce fut un grand plaisir. Pouchkine a le mot juste, le sentiment exprimé juste, et l'on se sent de connivence avec lui, avec son âme. Preuve que les grands écrivains remuent au fond de nous des émotions universelles. Nous sommes tous reliés à ce mystérieux monde de la beauté, de la vérité, de l'exactitude. Et quoi d'autres que les mots justes peut nous rassembler dans la tranquillité de l'esprit et du corps ? C'est le même pouvoir que la note de musique arrivant juste, de la touche de peinture placée à l'endroit exact, de l'"euréka" scientifique, mathématique, dans le mystère de la création.
C'est là, la grande différence entre l'oeuvre et le reste qui n'est que gribouillage.
Jules Verne est venu cinquante ans après avec son "Michel Strogoff". Un chef d'oeuvre aussi. Mais Pouchkine exprime, en plus,la terre,l'âme russe, que l'on retrouve dans Gogol. C'est drôle, mais en découvrant l'usurpateur Pougatchev, son regard roublard et dangereux, sa voix caverneuse et parfois mielleuse, cela m'a fait irrésistiblement penser à Wladimir Médar dans mon "Tarass Boulba". J'avais peut-être approché ce personnage délirant des steppes sanglantes.
J'ai noté l'influence immense que Pouchkine attribue aux Lumières et à leurs préceptes d'humanité dans la libéralisation des conditions des serfs par le Tsar Alexandre, qui était de culture française(page 54).
La traduction de Raoul Labry est excellente. Un français parfait, une justesse des mots qui frappe.
Un grand livre.
H.Z.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire