mercredi 27 janvier 2010

Jan Karski, de Yannick Haenel, Gallimard, 187 pages, 2009

L'auteur a écrit sur la couverture "Roman", mais ce livre est plus qu'un roman. C'est à partir d'un livre de mémoire intitulé "Histoire d'un Etat secret" publié en 1948, puis réédité en 2004 sous le titre "Mon témoignage devant le monde", un mélange de réflexions, de rectifications et pour une part d'invention littéraire sur le rôle qu'a joué un officier polonais catholique et résistant, Jan Karski,de son vrai nom :Jan Kozielewski, pour tenter d'alerter les hautes instances Alliées sur le génocide des Juifs en Pologne occupée.
Etant donné qu'il y avait ce témoignage de Jan Karski lui-même, et un livre sur des épisodes de sa vie et des missions qu'il avait menées :"Karkski, How One Man Tried to stop the Holocaust" de E.Thomas Wood et Stanislas Jandowski(1994), je me suis demandé pourquoi un tel livre ? D'autant qu'avec "Nuit et Brouillard"," Shoa"(Anéantissement) de Claude Lanzmann, ainsi qu'avec les documents filmés de l'Armée américaine à la libération des camps nous sommes très informés sur cette effroyable et monstrueuse tragédie.
C'est à la page 179 que je pense l'avoir compris.
Yannick Haenel a été étonné que dans les neuf heures de projection que dure "Shoah", seules ont été choisies quarante minutes sur les huit heures du témoignage de Jean Karski, et que dans ces quarante minutes, je cite le texte du roman de Yannick Haenel :"...le film ne faisait aucune mention de mes efforts pour sauver les Juifs, ce qui changeait complètement le sens de mon intervention. Claude Lanzmann n'avait gardé que le récit de ma visite dans le ghetto : rien sur mes tentatives pour transmettre le message des Juifs aux Alliés, rien sur l'indifférence de l'Amérique(entrevue avec le Président Roosevelt du 28 juillet 1943)."... puis : "Tous ceux qui ont vu "Shoah" se souviennent de cette séquence où l'on voit un paysan polonais, très content de lui, qui raconte à Claude Lanzmann qu'à l'époque il regardait passer les trains de Juifs en faisant, avec le pouce le geste de l'égorgement. Beaucoup de spectateurs ont associé l'ensemble des Polonais au geste de cet abruti. ...on oublie que la Pologne était occupée par les nazis et les staliniens... On oublie également que, malgré cela,la Résistance et le gouvernement polonais en exil ont tout fait pour informer le Alliés de l'extermination des Juifs. ...Ce n'est pas la Pologne qui a abandonné les Juifs, ce sont les Alliés..."
Yannick Haenel, dans son roman, a tenté de se glisser dans la peau de Jan Karski, et a imaginé qu'il a souffert du silence fait, dans le film, à son héroïsme, à sa vaillance, à la souffrance indicible du peuple polonais mêlé intimement à celle de ses compatriotes juifs, et a voulu l'exprimer à sa manière avec une sorte de sourde véhémence, des répétitions appuyées et lourdes, peut-être dans une fureur étouffante.
Un livre tragique, sur une époque effrayante.

Faisant suite au commentaire de Juan Asensio, j'ajoute que j'ai été très éclairé par les critiques de Azimierz Pawelek sur ce livre. Critiques publiées sur l'estimable site : stalker.hautefort.com/archive.
Le lecteur pourra s'y porter pour compléter son information.

Ainsi que: le 5 février 201O/
L'Express dans son N° 3057 de cette semaine, publie la traduction d'une interview de
Jan Karski, lui-même, parue en 1985 dans la revue polonaise KULTURA, et traduite en France dans la revue ESPRIT, dans laquelle Jan Karski dit, je cite :"D'une interview de huit heures, je n'ai vu à l'écran qu'un extrait de quarante minutes environ. Il y est question des souffrances des Juifs du ghetto et des appels au secours adressés désespérément par leurs dirigeants clandestins aux gouvernements occidentaux. Pour des raisons évidentes de temps et de cohérence, M.Lanzmann n'a pu insérer la partie à mon sens la plus importante de l'interview, qui se rapporte à la mission que j'ai effectuée à la fin de 1942(lorsque) j'avais réussi à rendre compte à Anthony Eden et au président Roosevelt de la détresse des Juifs et de leurs demandes pressantes de secours(...) Shoah par son autolimitation appelle un autre film." fin de citation.
Hermès

vendredi 22 janvier 2010

La barque silencieuse de Pascal Quignard, 238 pages,le Seuil Editions 2009

Un livre funèbre.
Pascal Quignard porte en lui les horreurs d'une éducation religieuse tournée toute entière sur l'attente de la mort. Il se complaît dans des écrits déterrés des fonds de bibliothèque des abbayes où ils dormaient. Dans un style alambiqué pour faire Grand Siècle (Bossuet,Fénelon,Massillon etc.)il raconte des histoires funèbres, soliloque sur la vie d'"avant", celle qu'inconscients nous menions à l'état foetal, sur le néant etc.
Il glisse chapitre après chapitre, du néant à la liberté totale de soi, de la religiosité ou de la foi à un athéisme incertain.
Dans un salmigondis proche du pathos il passe des penseurs grecs aux Pères de l'Eglise, des extraits paroissiaux des XV/XVI° siècles des fossoyeurs parisiens, des contes et légendes pêchés de ci de là, à des expériences personnelles douloureuses.
Ce n'est pas une oeuvre créatrice, ce ne sont que des pages copiées-collées de réflexions et d'humeurs écrites au fil de lectures noyées dans la désespérance.
L'auteur prône la lecture, mais porte le lecteur dans un univers morbide.
Pour rendre compte du livre, j'ai dû me contraindre avec force.
Pascal Quignard y traverse à chaque ligne l'Achéron sur la barque fatale en invoquant les grandes ombres du passé.
Un écrit proche du pédantisme.
Hermès