"J’aime Ethel.
A travers les vapeurs des gaz lacrymogènes, belle, intrépide, elle passe des
pavés que d’autres descellent dans la furie, à Archie. Elle va jusqu’au bout
d’une logique à laquelle je n’adhère pas. Oui, pour notre liberté, mais non à cet
enfermement dans un système. En courant je lui ai expliqué mes raisons, je lui
ai dit que je me battais avec elle pour la libération de la femme, l’égalité
des sexes, pour un autre monde, plus juste, tolérant, mais que c’était absurde
de suivre les mots d’ordre de « La Cause du peuple », que
c’était une dictature, celle d’un soi-disant prolétariat, que les gauchistes
voulaient instaurer ; qu’il n’y avait qu’à voir ce qui se passait chez
Mao, en Chine ! Rien n’y faisait. Archie, du haut de son aura héroïque,
était le plus beau, le plus romantique des révolutionnaires. Elle respirait
près de lui l’air des cimes. Elle revoyait la villa de Neuilly, les meubles
Art-déco, les domestiques de ses parents, elle entendait la componction qui
tombait des après-midi de thé, dans le salon de sa mère.
-C’est l’horreur ! me criait-elle, et elle ajoutait, méprisante :
- Il y a trop de choses dans ta caboche, tu réfléchis
trop ! Nous devons raser le passé pour construire un monde
nouveau ! Lis Marx, Lénine, « Le
Deuxième sexe » !
Je suis frappé de stupeur. En
quelques jours, elle était devenue ça ! Une passionaria, une
communarde !
Je l’ai traitée de « pétroleuse ! Elle a pouffé.
Je ne l’ai plus aimée. J’étais sur une rive, elle, sur une autre.
Elle est partie avec Archie distribuer des tracts. Moi, j’en prends une
flopée, je les jette dans une bouche d’égout. Je n’aime pas les tracts. Je
préfère la discussion. Parler face à face. Dire ce qu’on pense en faisant des
efforts pour se maîtriser. Ce « maoïsme » ne me plaît pas. C’est un
truc importé de Chine, avec à la tête, un dictateur sanguinaire ; comme si
nous n’avions pas d’idées, une volonté de transformer l’avenir à notre façon,
un génie de la Bastille ! Cela me hérisse de les voir brandir leurs
journaux au milieu des discussions, des amours de rencontre. Près de la statue
de Danton, je trouve Maurice Rosen. Avec sa grande dégaine, son regard heureux
et affairé, il me lance : « Je
te vois plus tard, j’ai une touche », et il me désigne les deux filles aux
cheveux blonds filasses, heureuses de vivre leur libération sexuelle au Quartier
Latin avec ce grand gabarit. Elles m’adressent un sourire ravageur accompagné
de quelque invite en anglais. Maurice me déçoit. Communiste enragé, je le
voyais en première ligne présentant sa poitrine aux CRS. Et là ? Il
cherche un coin tranquille pour baiser ! C’est vrai, il
plaît aux filles avec sa dégaine d’ours. J’aurais voulu discuter avec
lui, connaître ses sentiments sur ce qui se passe, mesurer son degré d’exaltation,
lui, l’idéaliste qui, le cœur gonflé de certitudes, raconte la Révolution russe,
le Che, Israël et les kibboutz,
où il a servi pendant l’été dernier. Je suis sûr qu’il m’aurait comparé les
émeutes actuelles à Octobre 17 à la prise du Palais de Saint-Pétersbourg !"
En épilogue :Archie a fait carrière est devenu député puis ministre d'un gouvernement de Gauche.
Ext. d'Un Jeune homme sans importance de H.Zaphiratos - Edit. HTZ-Athéna 2016
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