jeudi 31 août 2017

Et soudain la Liberté d'Evelyne Pisier & Caroline Laurent -roman- Les Escales Editions - 442p. 2017

Heureusement que ce livre porte sur la couverture "roman", tant il renferme d'erreurs pour sa partie "historique" sur l' Indochine, et particulièrement pour la période de l'occupation japonaise et du coup de force de l'armée impériale nippone contre l'armée et l'administration françaises, le 9 mars 1945, et de ce qui s'en suivit : combats de la Colonne Alessandri au Tonkin se repliant vers la Chine, internement des Européens dans les villes fixées par l'Etat-Major nippon, puis après les bombes A de Hiroshima et Nagasaki, l'occupation chinoise des troupes de Tchang-Kai-Shek jusqu'au 16°parallèle venues pour désarmer l'armée japonaise, comme au Sud du 16°parallèle, les troupes anglaises et françaises. 
Le roman, un peu, sinon beaucoup, auto-fiction, narre la vie d'une femme de la bourgeoisie française mariée à un "administrateur des colonies", qui n'a, suivant les codes de l'époque, pas le droit de travailler et dépend exclusivement de son "seigneur et maître" son mari, même pour avoir un compte en banque indépendant, même pour avoir le droit d'avoir un permis de conduire etc. -A l'exception prévue par Napoléon, de celles qui sont "commerçantes", et qui donc ont tous les droits-.
Mona, l'héroïne vit dans un cocon de femme d'administrateur (on dirait préfet de région, aujourd'hui), lequel "méprise" les nhia-qué (paysans en vietnamien), et n'aime ni le nuoc-mâm, que la planète a adopté comme le camenbert, qui n'est autre que la sauce de poisson le Garum romain, ni les nêms que l'on trouve au supermarché aujourd'hui. Il ne fraie pas avec les gens qu'il administre presque directement, en violant les accords du Protectorat avec Hué, la capitale impériale du Viêtnam. L'administrateur, de plus de raciste, est vichyste. Il travaille sous les ordres du Résident supérieur du Tonkin, coiffant le Vice-roi vietnamien de la région. Comme vichyste, pour bien noircir le tableau, une de ses filles le condamnera, lorsqu'elle sera grande d'avoir participé aux rafles des juifs de France, alors qu'il était à 14.000 kms de la France !
Raconter (imaginer) qu'une maman prisonnière des soldats japonais, ait pu dire à sa petite fille affamée d'arracher de l'herbe pour la manger... ! alors que la dysenterie ou la typhoïde sous les tropiques l'aurait achevée en quelques jours...  Le choc de l'effondrement de l'autorité et du pouvoir de l'administration française par l'Armée japonaise, passer d'une vie de luxe et de calme à une captivité brutale, la peur des jours incertains la traumatiseront à vie.
Le livre cependant déroule très bien le caractère du carriériste, malade de ne pouvoir être nommé "gouverneur" en déroulement normal de carrière, imbu de son autorité, tyran domestique, de plus, maurrassien, affreux lecteur de Drieu la Rochelle etc. Il se suicidera d'ailleurs comme ce célèbre écrivain,  
C'est dire que ce roman n'est pas à l'eau de rose...
On est loin des préoccupations des hommes qui étudiaient et respectaient les habitants, les coutumes, l'histoire des pays où ils vivaient, comme ceux de l'Ecole Française d'Extrême-Orient, ou ceux de l'Institut Pasteur, des professeurs de l'Instruction Publique, comme Mme Donnadieu, la maman de Marguerite Duras etc. ou des Gouverneurs généraux comme Paul Doumer ou l'Amiral Decoux qui imposaient le respect absolu envers les institutions pérennes de ces états où la France interdisait tout apartheid ou ségrégation comme les Britanniques dans certaines de leurs colonies. 
Mona, l'héroïne, femme soumise, menant la Belle vie coloniale, entre réceptions, nounous pour les enfants, chauffeur, cuisinier etc, soudain se réveille pour devenir un femme libre  grâce à un amie, Marthe rencontrée en Nouvelle Calédonie, à la lecture du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, de Jean-Paul Sartre, la philosophie, le permis de conduire arraché, les coups violents de son mari, un amant et enfin le divorce, la honte de devoir travailler comme secrétaire... Ses filles vont découvrir la liberté de Paris, Mai 68, et ensuite militer avec la Gauche triomphante de François Mitterrand, et à Cuba, découvrir un Fidel Castro amoureux, plutôt que le dictateur tout cela peut-être par réaction.
D'une bourgeoisie de Droite à une bourgeoisie-caviar de Gauche, la reproduction des élites françaises décrite par Deleuse.
Ce livre est aussi un roman dans le roman, car c'est l'intervieweuse, Caroline Laurent, qui "recrée" l'atmosphère, "crée"des scènes, "fabrique" en sorte ce roman à partir des éléments remis par Evelyne Pisier, disparue au début de l'année, avec une fascination quasi religieuse.
Un roman d'une tristesse à toute épreuve. La dérive d'une époque révolue.
10/20
Hermès

Aucun commentaire: