mercredi 14 octobre 2009

La Conjuration des Anges, H. Zaphiratos, Extraits, Chapitre 1° et 2° / Chiron-HTZ-Athéna Editions 430 pages

"Voici comment cela a commencé…

Lundi, le 4 avril, 23h 15

La nuit était douce, une vraie nuit shakespearienne. La pleine lune se reflétait sur les eaux du Grand Canal. Maximilien descendait l’Allée Royale du parc du Château de Versailles, les sens encore à vif. Il regrettait les seins lourds, la chevelure en cascade, la chair palpitante de la jeune femme qu’il venait de quitter. Il n’avait qu’une envie, c’était d’écourter ce rendez-vous pour revenir la retrouver pour les quelques heures de bonheur qu’ils leur restaient avant l’aube. Il accéléra le pas à l’approche du bassin d’Apollon. Près du bosquet des Marronniers, il s’arrêta et attendit.
Soudain un cri rauque traversa la nuit et le fit sursauter : «Comte de Larmenius ! »
Il se retourna.
Un homme revêtu d’une cagoule noire surgit de la masse sombre des bosquets et se précipita sur lui. Il vit deux ailes immenses se déployer, et, avant qu’il ait pu esquisser un geste, il s’effondra, le crâne fracassé.
« Tu as été démasqué, Maximilien Le Coche !» dit l’homme d’une voix caverneuse, et se penchant sur lui, en une sorte de requiem, il lui enfonça un poinçon en forme de poignard dans l’occiput d’où s’échappèrent des flots de sang.

Mardi 5 avril, 7h.25

Le commissaire Marceau, chef de la brigade criminelle de Versailles, la quarantaine élégante, défit son trench-coat, et, réprimant un sentiment d’horreur, se pencha sur le cadavre que les pompiers venaient de retirer du Grand Canal, et avaient déposé sur la pelouse.
- Qu’en penses-tu ? glissa-t-il à Caroline Léger, qui, de ses doigts gantés de latex l’examinait.
- Regarde ! C’est du beau travail, répondit-elle avec un éclat de satisfaction dans la voix. Un coup sec et il est passé de l’autre côté.
Il détourna les yeux du corps sanguinolent.
- Tu n’arrives pas à t’y faire, lui lança-t-elle avec un regard plein de commisération.
- Qu’en déduit l’insensible médecin-légiste ?
Caroline Léger haussa les épaules, et soupira.
- À première vue : le crâne a été fracassé par un objet tranchant qui s’est abattu d’en haut… La clavicule droite a été brisée.
- L’arme du crime ?
- Probablement ceci.
- Ce petit bloc de marbre ? murmura Marceau regardant incrédule le petit obélisque que lui montrait Caroline.
- En frappant pointe en avant, avec une force peu commune, l’agresseur lui a fracassé le crâne.
Caroline retourna la tête du cadavre avec précaution, et sous son index ganté les vertèbres cervicales craquèrent.
- Regarde !
Elle souleva une touffe de cheveux et découvrit une plaie.
- Une croix gammée !
- Ça m’en a tout l’air.
- Des nazis ? Ils ont pris le temps de signer leur crime.
-Ou un règlement de compte entre sectes… peut-être un crime passionnel camouflé en crime politique ? En tout cas, je te souhaite bien du plaisir.
-Plaisir partagé, ma chérie, grogna Michel Marceau en se redressant. Nous sommes sur le même bateau. Il vaut mieux que tu fasses vite, car si c’est un crime politique…
-S’il te plaît, je vais à mon rythme, marqua-t-elle, en levant la main pour l’arrêter.
-Ok. on va pas se fâcher !
Caroline avait toujours son sacré caractère.
C’était bien sa chance, il y avait trois médecins légistes et il fallait qu’il tombe sur elle !
Elle ne se remettait toujours pas de leur engueulade pour l’affaire Swinston.
L’adjoint de Marceau, le lieutenant Desaffre lui tendit la pièce d’identité de la victime.
-Merde… Maximilien Le Coche, Inspecteur général chargé des Domaines de Versailles. Un haut fonctionnaire ! murmura le commissaire.

°

Une Peugeot 307 pila devant la grille du Petit Pont. Edouard Le Coche, vingt deux ans, les cheveux roux portant un blouson de cuir noir, parlementa avec excitation, avec l’agent
de faction qui bloquait le passage. Exaspéré par son refus de le laisser passer, il jaillit de la voiture, et se précipita vers le Grand Canal.
-Je suis le fils de la victime, dit-il aux policiers qui tentaient de l’intercepter. Ceux-ci, sur un signe du lieutenant Desaffre, le laissèrent passer.
-Ils l’ont tué !
-Qui… « Ils » ? demanda Marceau.
Edouard pétrifié devant le corps de son père, ne répondit pas.
-C’est un complot, murmura-t-il.
-Un complot ? Qui vous fait croire cela ?
-Mon père m’avait dit qu’il avait suscité des jalousies à cause des fonctions qu’il occupait. Le téléphone sonnait souvent la nuit sans explication, sa voiture était suivie, ses déplacements surveillés, s’énerva Edouard Le coche.
-Calmez-vous ! A-t-il porté plainte ?
-Je le lui avais conseillé, mais il n’osait pas, il craignait de déchaîner une opposition encore plus grande. Il y a une guerre feutrée dans ce milieu. Diriger les 93 hectares des jardins du château, les 1858 hectares du Petit Parc et les milliers d’autres du Grand Parc cela attise des jalousies ! Il en était conscient.
-Vous avez des noms ?
-Rien, je n’ai rien. Mais il faut chercher dans ses papiers, dans son entourage.
-Nous chercherons !
Le lieutenant Desaffre après un instant de réflexion :
-Monsieur Le Coche, votre père avait-il une double vie ?
-Comment ?
-Avait-il une maîtresse ?
-Pas que je sache, hésita Edouard.
-Je sais que c’est difficile, mais procédons par ordre. Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?
-Hier après-midi, au moment où je partais pour mon cours à la Sorbonne. Nous sommes sortis ensemble de l’appartement après déjeuner. Il avait une réunion importante au Château. Il était, comme à son habitude, détendu. Depuis, je n’ai plus eu de ses nouvelles, jusqu’à votre coup de téléphone de ce matin, chez moi, à Paris.
-Nous n’avons pas appelé.
-Comment vous ne m’avez pas appelé ? fit Edouard étonné, qui donc m’a appelé ?
-L’assassin…, dit laconiquement Desaffre. À quelle heure ce coup de téléphone ?
-Il y a trois quarts d’heure environ…
-On vérifiera ! Que vous a dit votre interlocuteur ?
-Qu’il était arrivé malheur à mon père. J’ai insisté pour en savoir plus, mais il a raccroché.
-Et c’est tout ?
-Oui… Mais quelqu’un m’a téléphoné, cette nuit, vers une heure du matin…
-Et alors ?
-Il m’a textuellement dit : Edouard Le Coche, ton père a rencontré le démon cette nuit, puis il a éclaté d’un rire sinistre. J’ai cru que c’était une farce de copain, je l’ai engueulé, demandant qui c’était. Il a raccroché. J’ai tout de suite appelé mon père, mais impossible de l’avoir, ses lignes étaient sur répondeur.
-Vous pourriez reconnaître cette voix ?
-Oui ! C’était une voix rauque, gutturale. C’est ce matin, après votre appel, enfin l’appel que j’ai reçu, que dans la voiture j’ai appris par France Info ce qui s’était passé.
-Voici le carnet d’adresses, la carte d’identité, les cartes de crédit, mille cinq cents euros, la chevalière incrustée de rubis en forme de croix et le trousseau de clefs que nous avons trouvés dans ses poches. Vous les reconnaissez ?
-Oui, répondit Edouard après un rapide coup d’œil.
-Je vois que vous portez la même bague, dit Desaffre, en lui désignant son annulaire droit.
-Oui, c’est une bague jumelle, il me l’avait offerte pour mes dix-huit ans... Et le corps de mon père ?
-Il va être transporté à l’Institut médico-légal pour autopsie, après il sera à votre disposition.
Le lieutenant désigna la civière.
-Vous pouvez le voir. C’est nécessaire pour l’identification, insista-t-il, devant le douloureux effroi du jeune homme.
Les experts de la Police scientifique achevaient de filmer la victime.
-Prenez-moi en gros plan la taillade sur le crâne, recommanda Marceau.
-Ok, patron !
Edouard se pencha, et eut un mouvement de recul, horrifié.
-Un swastika, murmura-t-il.
-Cette marque provient de ça !
Avec un mouvement de triomphe Caroline Léger s’était approchée en manipulant entre ses doigts gantés le petit bloc pyramidal tâché de sang que l’agent Vinille venait de découvrir dans un fourré.
-Regardez !
Elle pointa un swastika gravé à la base du marbre.
-Marceau !
Elle se dirigea vers lui, en l’agitant comme un trophée.
-C’est horrible ! murmura Edouard Le Coche en songeant que ce bloc de marbre avait fracassé le crâne de son père.
-Lui connaissiez-vous un contact avec des éléments néo-nazis ? poursuivit Desaffre.
-Non ! dit avec force Edouard scandalisé.
-Cherchez bien ! Votre père a-t-il eu une altercation, ou un différend quelconque avec un inconnu ?
-Non, à part ce que je vous ai dit sur son milieu professionnel, le reste, non, je ne vois pas… il n’avait de différend avec personne.
-Et vous-même ?
-Moi ?
-À la fac… avec vos condisciples ?
-Non, je ne vois pas.
-Pas d’échauffourée avec des skinheads ou des Iroquois ?
Edouard fit signe que non.
-Bon, merci. Donnez-moi vos téléphones…
Edouard inscrivit ses numéros de fixe et de portable sur une feuille de son calepin qu’il déchira et tendit à Desaffre.
-Ne quittez pas la région parisienne, nous pourrions avoir besoin de vous.
Edouard fit « oui » de la tête et s’en alla cachant les sanglots qui l’étreignaient.

2

Le 5 avril

Marceau remonta l’Allée royale, d’un coup d’œil il engloba les 570 mètres de façade et les 357 croisées donnant sur les jardins du château et se dirigea vers l’aile Nord. Il contourna les parterres d’eau décorés d’enfants et de nymphes. Il grimpa les marches de l’escalier.Àcette heure matinale Versailles était encore vide de touristes. En passant Marceau lut sur le panneau d’affichage de l’entrée que les guichets ouvraient à 9h. Il avait donc une heure de calme devant lui pour faire avancer son enquête.
Elisa Desprès l’accueillit dans son grand bureau, entourée des ors du Grand siècle.
-Vos inspecteurs m’ont avisée du drame. L’assassinat de monsieur Le Coche est une affaire d’Etat, j’ai déjà informé le président de l’établissement public de Versailles et le ministère.
-Affaire d’Etat, c’est un peu tôt pour le dire. Pour l’instant c’est un meurtre, pas banal, je l’avoue, mais un meurtre.
Marceau se cala dans le fauteuil Louis XV broché de soierie bleu qu’elle lui avait indiqué et sortit une cigarette.
-Ah non ! Il ne va pas fumer ici, celui-là ! lut-il dans les yeux de la conservatrice
-Rassurez-vous, je ne dois pas. Puis, la remettant dans son paquet, c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour arrêter de fumer : simuler le geste…
-Il faut beaucoup de courage pour arrêter, concéda Elise Desprès.
-Oui, soupira-t-il.
-Où, l’avez-vous trouvé ?
-Vous parlez de la victime ?
-Oui, monsieur Le Coche, demanda-t-elle, le regard neutre, perdu sur l’horloge de bronze doré de son bureau.
-Dans le Grand Canal.
-Mon Dieu, dans le Grand Canal ! Mais c’est épouvantable !
Elle voyait déjà des flots de curieux conduits par des guides désignant l’endroit du meurtre, les plates-bandes piétinées, les eaux souillées par les déchets des foules incontrôlables.
-C’est un meurtre inimaginable ! Dans le Grand Canal !
-Eh oui ! Il semblerait qu’ils aient traîné le corps et l’auraient jeté là.
-Mais c’est affreux !
Marceau admira la maîtrise de cette belle femme blonde qui devait avoir entre trente huit et quarante ans, peut-être plus, comment savoir avec les crèmes, la thalassothérapie, les liftings ?
-Vous lui connaissiez des ennemis ?
-Non, mais je ne l’ai rencontré que très peu, je viens tout juste d’entrer en fonction.
-Ah ! La dernière fois que vous l’avez vu, comment était-il ?
-C’était hier après-midi, après la visite avec la représentante de la Fondation américaine, au bosquet que nous surnommons Les Cascades. Nous avons fait le point ici, lui, dans le fauteuil que vous occupez. Il ne semblait pas inquiet. Nous avons revu les dates des principales manifestations de l’été prochain, comme les Grandes Eaux musicales, les Fêtes
de Nuit avec feux d’artifice. Je lui ai communiqué le programme des spectacles de théâtre du grand Trianon.
Marceau exhiba un petit bloc de marbre blanc, qu’il avait sorti d’un petit sac de plastique.
-Mais c’est un obélisque funéraire ! s’exclama Elise Desprès, après l’avoir examinée. Elle provient des fouilles de la Vallée des Rois, de la période de la reine Karomana. Cette tâche brune ?
-Probablement le sang de la victime.
-Quelle horreur ! s’exclama Elise, en lâchant l’objet que rattrapa prestement Marceau.
-Excusez ce mauvais réflexe !
-Question d’habitude, sourit Marceau. Vous êtes dans les ors, nous dans le réel, c’est tout.
-Mais j’y pense, reprit Elise, ce petit obélisque doit faire partie de la collection des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre. Il me semble qu’il a été prêté à l’Institut du Monde Arabe pour son exposition sur l’Egypte.
-Ah !
-Pour illustrer un benben.
-Un benben ?
-Un tertre à offrandes dans l’Egypte ancienne. Le lieu où les prêtres d’Isis et d’Osiris venaient déposer leurs présents, le long de la Vallée des Rois, dans les temples comme Louqsor. Cette pièce n’est qu’une reproduction funéraire qui accompagnait le mort dans son tombeau avec les autres reproductions de ses biens, une coutume que l’on retrouve encore en Chine. En découvrant les sarcophages, on les trouvait. Je dois avoir le catalogue de cette exposition.
Elisa Desprès se dirigea vers une grande table sur laquelle étaient empilées des brochures.
-Tenez, regardez, voici la photo de ce benben, Marceau la compara avec soin, à l’obélisque.
-C’est bien la même pièce, je vais demander une vérification sur la base de données des 55.000 objets d’art volés chaque année en France.
-Permettez, monsieur le commissaire.
Elisa Desprès consulta son ordinateur.
-Déclaration de vol du 15 juin 2004 du Commissaire de l’exposition de l’Institut du Monde Arabe. Le voici, dit-elle.
Marceau prit les références, puis :
-Vous parliez d’une Fondation américaine ?
-Elle finance la restauration du bosquet que nous nommons Les Cascades. Comme vous le savez, Versailles retrouve peu à peu, sa splendeur passée grâce à de généreux donateurs dont nos amis américains. C’est une tradition pour eux. C’est au château que fut signé le traité reconnaissant l’Indépendance des Etats-Unis. Les Rockfeller ont grandement participé au sauvetage de Versailles.
-Où puis-je contacter les personnes de la fondation qui travaillaient avec M. Le Coche ?
-Mrs. Pamela Hocker ? Elle est descendue au Pavillon Henri IV, à Saint-Germain-en-Laye. Voulez-vous que je la prévienne ?
-Non, merci, j’enverrai quelqu’un. Ah, j’oubliais… pour les besoins de l’enquête, j’ai fait fermer les grilles d’entrée du parc. Le temps de relever les indices. Vous ne voyez pas d’inconvénient à cela ?
-Si l’enquête le nécessite, monsieur le commissaire ! L’an passé, un conservateur du Louvre a été assassiné, aujourd’hui
c’est le Directeur des Parcs et jardins de Versailles ! Mais pourquoi , mon Dieu ?
-Pure coïncidence. J’essaierai d’aller vite. Rassurez-vous. Il est peu probable qu’il y ait un lien entre ces deux affaires. Une question encore, avez-vous une idée sur le motif de cette incursion de nuit, de Monsieur Le Coche, dans le parc ?
-Je ne peux rien vous dire. Peut-être une vérification, peut-être l’envie de découvrir le parc, une nuit de pleine lune. C’est un enchantement sous cette voûte étoilée !
-En heureuse compagnie, je n’en doute pas, mais, en solitaire ?
-Oh, tout le monde a ses fantaisies. Et puis, chacun travaille à sa manière. L’important c’est le résultat ! La magnificence de Versailles.
-Les trésors attirent bien des convoitises !
-Oh que oui !"

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