samedi 4 juin 2016

Trois jours avec Norman Jail - roman de Éric Fottorino Gallimard Paris, 2016, 208 pages

"Écrire, c’est un travail un peu égoïste, qui permet de satisfaire un besoin personnel. Ensuite vient un moment de partage, mais vous n’êtes plus là. C’est le livre qui va partager avec le lecteur, ce n’est plus vous. » 
Éric Fottorino  : « même si vous parlez de vous ».« La littérature permet au lecteur de sortir de sa propre condition. Si vous lisez des romans de Zola, d’Emmanuel Carrère aujourd’hui ou de Houellebecq, vous allez aussitôt être projeté dans un autre univers qui va forcément venir faire irruption dans votre vie. Et ne pas vous laisser complètement intact. Même si lire est une action solitaire, la littérature peut vous porter, sinon vers la multitude, en tout cas vers l’autre, vers les autres ». Elle suspend le temps. Elle l’étire. Elle permet de créer un autre temps que le temps réel. « Parce que c’est un temps du songe, du rêve, de la rêverie, où vous êtes distrait, dans le sens où vous êtes un peu décentré. Ce n’est plus vous, lecteur, qui êtes au centre, ce sont des personnages. »
« Je voulais montrer que, finalement, écrire, c’est manipuler », confie Éric Fottorino. Trois jours avec Norman Jail met en scène une étudiante venue rencontrer un vieil écrivain secret et solitaire.
« Comme le dit Norman Jail (le personnage)un bon roman, c’est un tour de magie. C’est un jeu d’illusions, d’apparences. On croit que les choses sont vraies, et puis non. On va scier quelqu’un dans une boîte, puis finalement il ressort en entier… » Norman Jail, qui est une sorte de double caricatural de moi-même. »
« Écrire est une perpétuelle naissance. Plus j’écris, plus je m’invente à mes propres yeux. »
« Je n’en ferais pas une généralité, mais moi, j’ai écrit pour essayer de comprendre qui j’étais. Un peu comme les photographies autrefois avec les révélateurs, ce liquide qui faisait apparaître tout d’un coup les formes, les personnages. C’est l’écriture qui, à force d’être mon quotidien, mon lieu d’expression, m’a fait comprendre qui j’étais. J’ai l’impression que c’est par l’écriture que je me suis inventé. »
Ce n’est pas pour rien que la quête d’identité et les blessures d’enfance traversent son oeuvre. « J’ai grandi dans une sorte de gouffre identitaire, du fait de ne pas connaître mon père biologique, d’être dans le secret, dans le mensonge, glisse-t-il. Pour sortir de là, il m’a fallu écrire. »
Sa mère, tombée enceinte de lui à 16 ans d’un juif marocain qu’elle n’a pas pu épouser car sa famille catholique s’y est opposée, a mis seule son enfant au monde. Le jeune Éric n’a rencontré son père naturel qu’à l’âge de 17 ans. Entre-temps, c’est le mari de sa mère, un homme d’origine tunisienne, qui lui a donné son nom en l’adoptant quand il avait neuf ans.
En 2009, dans son récit L’homme qui m’aimait tout bas (Folio), l’écrivain rendait un hommage affectueux à ce père de remplacement, mort suicidé, qui avait pris grand soin de lui. L’année suivante, il revenait sur sa relation tourmentée avec son père biologique dans un récit bouleversant : Questions à mon père (Folio). Ces deux livres ont été parmi les plus difficiles à écrire pour lui. « J’avais des hésitations, des inquiétudes sur la manière dont ils seraient accueillis par mon entourage, mes proches, voire mes enfants. C’était un peu comme des aveux par écrit. Et des aveux romancés sont quand même des aveux. »
Dans Trois jours avec Norman Jail, le vieil écrivain a, dans un manuscrit aujourd’hui disparu, peint le portrait d’une femme aimée. Les écrivains sont parfois des voleurs d’âme. Pire, des prédateurs. « Ils font leur miel de la vie, de la chair, des histoires des autres, même si après ils les détournent, les font infuser dans un grand chaudron, et que ça devient autre chose. »
« Ils volent, mais restituent. Ils volent à quelqu’un pour rendre à tout le monde, d’une certaine manière. »
Entretien avec Danielle Laurin paru dans Le Devoir de Montréal.

On peut aussi dire que tout ce que dit Eric Fottorino est faux. On écrit aussi par obligation, nécessité de vie comme Balzac ou Proust, car c'est inhérent à soi-même, comme une seconde nature, un double de soi à travers ce que l'on écrit, une projection de soi dans la vie, un regard qui est le sien sur le monde qui entoure, comme Maupassant décrivant Paris ou sa Normandie, lui-même avec sa sensibilité. Chateaubriand dans les Mémoires d'Outre-tombe se révèle à nous mêmes, nous "parle". Aristote à travers 2.400 ans, nous parle... Il est lui-même, et il ne pouvait pas ne pas nous "parler", "écrire"...
Hermès

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