jeudi 14 mars 2013

"L'argent des larmes" extrait de "La vie de Milley Brose" roman de Henry Zaphiratos


"« Bonjour mam… ». C’est vrai qu’elle avait remarqué qu’il ne lui disait plus maman. Il la traitait comme une copine assez banale, assez méprisable. Et elle l’avait senti, et elle n’avait rien dit. Son amour à elle cachait tout, voilait tout, un mur d’encens, une volute de vapeur blanchâtre la séparait de ce qu’elle percevait de méchant, de dur en lui mais qu’elle ne voulait pas voir, pas admettre. Maintenant il était là, le regard ironique et sec. Elle aurait voulu dire plein de choses, mais elle ne le put pas. Elle savait qu’elle l’avait perdu, qu’il la reniait, qu’il se reniait, qu’il ne s’aimait pas. Sa naissance avait été pour lui un fiasco. D’avoir son sang dans les veines le brûlait, de voir son visage dans un miroir le brisait. Il se haïssait d’être ce qu’il était et ceci par la faute de ces géniteurs qui n’avaient pensé qu’à eux, et non à lui. Elle comprit que jamais il ne l’avait aimée, que jamais il ne l’aimerait. Pour lui, elle était du passé, du lointain passé, comme son père, des gens d’une autre espèce d’une autre race. Des gens des confins de la Terre égarés près de lui. Il se demandait comment il avait pu vivre avec eux, d’eux, être vêtu par eux, conduit à l’école par eux…tant et tant d’années ! Il sentait encore sur sa peau la laine qui le grattait, les vêtements serrés…Il se demandait comment il avait pu survivre entre les piailleries de ses petits frères et de sa sœur ? Il justifiait ses accès de colère, de dureté, de méchanceté par la tension dont il fallait qu’il se libérât. « J’ai une rancœur au fond de moi ». Jenny tremblait de tristesse en songeant à ces mots. C’est pour cette rancœur qu’il avait frappé Etienne son jeune frère et l’avait jeté la tête la première dans une poubelle…C’est pour cette rancœur qu’il avait monté sa petite bande de voyous…Il fallait qu’elle arrête de penser. Elle quitta le bureau hallucinée, chercha la porte de sortie et l’ayant trouvée avança dans la froidure de cet après-midi d’hiver. Le vent du nord balaya les larmes qui commençaient à couler sur ses joues. Elle se reprit, marcha intrépidement sous les rafales. L’hiver se mêlait à l’hiver. Elle venait de voir la férocité de l’homme qu’elle avait porté. Ses mains se glissèrent sous la ceinture de son jean, elle palpa son ventre. « Il sort d’ici…il sort d’ici » murmura-t-elle et elle s’effondra sur le rebord du talus couvert de neige."
Extrait de "La vie de Milley Brose" Copyright 2013 Henry Zaphiratos     

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