Drieu La Rochelle, Les Derniers jours, d'Aude Terray, récit-romancé, Grasset, 236p. 18€

Aude Terray a écrit un livre formidable sur les derniers mois, les dernières semaines, les derniers jours, les derniers instants de Drieu la Rochelle. En s'appuyant sur une documentation quasi complète, elle a "vécu" et nous le transmet avec passion, ce que fut ce grand écrivain perdu dans la Collaboration avec l'Allemagne pendant l'Occupation, rêvant de virilité et de force, ébloui par les grandes démonstrations des partis fasciste à Rome ou nazi à Nuremberg... L'auteure a tenté de se glisser dans l'homme  Drieu  tout au long de son récit. C'est toute sa vie qui défile au milieu de ces temps incertains. Du 6 août 1944, à vingt jours de la Libération de Paris, deux mois après le jour J du débarquement des Alliés en Normandie, le 6 juin 1944, jour où il tente de se suicider au 15 mars 1945, jour de son enterrement après s'être suicidé, l'auteure brosse le tableau de la France, de l'avancée de la guerre, de la découverte des camps d'extermination nazis à Buchenwald, Dachau... et  de l'attaque japonaise du 9 mars 1945, qui met fin à la souveraineté de la France en Indochine et amorce la fin de l'empire colonial français... L'auteure zoom sur l'univers mondain et intellectuel parisiens des Années folles, puis des années de guerre... On découvre l'homme blessé par son échec à la sortie de Sciences-Po, amoureux probable de son ami Aragon, qui s'engage à 18ans pour la guerre de14/18, en sort bouleversé, pacifiste et européen convaincu pour qu'il n'y ait plus de guerre, il écrira Mesure de France, puis Le Jeune européen, Genève ou Moscou,  le petit-provincial ambitieux comme ses amis, ébloui par la grande bourgeoisie, le "Bel-Ami" qui séduit les femmes riches, les épouse, les délaisse, devient l'amant de Béloukia, surnom de la femme de Louis Renault, l'inventeur de la 4CV, l'industriel brillant des usines de Billancourt, l'écrivain dans l'âme qui puise dans on ne sait où un "style", une façon d'agencer les mots, les phrases, possédé aussi par la perception de la petitesse de la province petite-bourgeoise, d'une France exsangue de 37 millions face au peuple germanique de 80millions qui veut dominer l'Europe. d'où son action, ses livres pour l'Europe, mais dès les années 30, il ne voit qu'une Europe dominée par des partis forts, virils... pas la France "décadente" , l'Europe du lupenproletariat. Malgré ses relations avec les milieux juifs de la haute-bourgeoisie, dont son ami André Jéramec, tué au combat, dont il épousera la sœur Colette, dont il divorcera et qu'il sauvera de la déportation en 1943 avec ses deux enfants, et qui lui témoignera, comme les femmes de sa vie, jusqu'à la fin un dévouement sans borne, il sera un antisémite viscéral, parfois cruel...
C'est un livre base sur la tragique histoire des intellectuels français durant cette période terrible. Fourvoyés dans les idéologies meurtrières du nazisme, du fascisme, du stalinisme, et du mouvement des idées, de la vie parisienne.
Un très beau livre sur un grand écrivain.
18/20
Hermès