samedi 26 novembre 2016

A propos des dictateurs : "La Révolution de Mai 68" extrait d''Un jeune homme sans importance" HTZ-Athéna/Amazon Distribution & e-book


"Le père d’Ethel nous reçoit avec stupéfaction et colère.

- Comment pouvez-vous avoir abandonné vos cours ?

Il s’exprime avec véhémence, et son fort accent étranger jaillit du fond de son cœur, dans une voix gutturale, caverneuse. Ses mots grondent avec la force d’un lointain tonnerre.

- Les Français sont devenus fous ! Ma voiture a été bloquée au Cour la Reine, et j’ai vu des ombres innombrables courir à travers les arbres, vers les Champs Elysées. Que veulent-ils? 

- La Révolution, papa. 

Elle a dit cela d’une voix forte, comme prête à l’orage.

Il sursaute.

- Est-ce possible que tu puisses dire cela ? La révolution, mais cela serait terrible ! Nous en sortons. Toute l’Europe en sort, et tu voudrais remettre cela ? Des millions de morts ?

Il lui parle comme si elle représente la masse informe des manifestants qu’il a croisée. À travers elle il voit les milliers de pieds qui s’entremêlaient et couraient dans une même direction : le Pouvoir.

- Et vous, jeune homme ? 

Je le regarde, désemparé. Je ne sais quoi dire devant cette colère. Je balbutie quelques phrases qui racontent ce que nous avons vu, et dis que ce n’est qu’une sorte de fête de jeunes.

- De jeunes ? 

Il bondit. Fait de grands pas dans le salon, puis s’arrête pile devant moi :

- Toutes les révolutions viennent de la jeunesse. Une jeunesse irréfléchie qui veut le changement pour le changement, et qui chamboule tout. Ça commence par des chansons, Camille Desmoulins, Chénier, et ça se termine avec Saint-Just, Robespierre, Lénine, Staline, Ceaucescu, et des guerres ! On ne vous apprend pas tout ça à l’école, au lycée, à l’université ? Qu’est-ce que l’on vous apprend alors ? C’est le B.A. BA de la vie.

- Mais papa, ce n’est pas ce que tu crois. 

Ethel m’étonne, elle est très calme, sa voix est douce :

- Ce n’est pas une révolution comme celles-là, non, non, c’est pour plus de liberté pour les jeunes. Tu te rends compte qu’à Nanterre,  ils n’avaient pas le droit de se réunir dans les chambres pour discuter, que les filles étaient à part, les garçons à part ? 

- Et alors ? Mais le monde a fonctionné comme cela depuis toujours…Vous voulez vous réunir pour coucher, c’est ça ? »

- Pourquoi dis-tu cela ? Les étudiants d’aujourd’hui ne veulent plus de ce vieux système. »

- Alors c’est pour ça, qu’ils font la révolution ? »

- Papa, ça, et pour bien d’autres choses.

Monsieur Sthal se laisse tomber dans un fauteuil, accablé.

- J’ai fui les massacres de Bessarabie où tous tes grands-parents ont été assassinés. Enfant, j’ai traversé toute l’Europe pour me réfugier dans ce pays, et maintenant, toi, Ethel, ma fille, tu me parles comme ça ? Tu m’annonces que la jeunesse française n’est pas heureuse, que tous les sacrifices pour la liberté n’ont servi à rien, que tout va recommencer avec l’anarchie ? 

- Mais non papa. Nous voulons aussi un autre monde. 

La sonnerie du téléphone retentit. Monsieur Sthal arrache le combiné.

- Oui, Bertrand, c’est moi ! dit-il en comprimant son exaspération.

Je fais signe à Ethel qu’il vaut mieux que nous déguerpissions. J’en ai marre d’entendre les gémissements de son père. Nous ne sommes pas des bolcheviks. Nous voulons la liberté, la vraie liberté pour notre jeunesse ! Et les vieux ne comprennent rien. Ils nous envoient des CRS. J’entends à mon oreille « CRS-SS ». Je regarde monsieur Sthal  parlant d’une voix sourde au téléphone.

Il a raison, tout va péter !

- Ecoute Europe 1 ! C’est la CGT maintenant qui se met dans la danse, m’annonce Bertrand,  s’exclame son père en raccrochant.

Nous courons sur le boulevard Malesherbes, vers la Madeleine et la rive gauche, nous avons hâte de nous retrouver entre nous. Nous croisons des CRS sur le pont de la Concorde. Ils nous observent, l’œil méfiant.

Tout est d’un calme ! Un calme d’avant tempête.

Archie est rivé à son transistor.

- Nanterre, Assas, Jussieu, ça barde partout. On va tout foutre en l’air, c’est la révolution prolétarienne ! Vive la fin du capitalisme ! Vive Mao ! Vive le petit livre rouge ! 

Il est blême de joie. Son visage émacié fulmine de bonheur.

Nous courons avec lui à la réunion de Sartre. Des camions avec des étudiants, brandissant des drapeaux rouges et le poing, passent sous les fenêtres des bourgeois en chantant l’Internationale.

Pendant que Sartre, la lippe pendante sous sa cigarette, et le regard bigleux, discourt dans la grande salle, Ethel dévore Archie des yeux, moi, je n’existe plus. Avec sa petite barbe blonde, sa fine moustache, son nervosisme à la d’Artagnan révolutionnaire, il la fascine, je le vois bien. Je m’en fiche intellectuellement, mais j’aime pas ça. Elle va tomber dans un de ces amours minables qui ne m’intéressent pas. Une sorte de complicité dans le crime, dans la destruction, les rapproche. Je veux qu’elle reste elle-même. Ce qu’elle a sorti à son père était très bien, et je l’admire de foutre en l’air son monde, cette tendresse paternelle pour cette aventure qui est là, devant nous. Mais pas la folie bolchevik !..."

Extrait d'Un jeune homme sans importance" de H. Zaphiratos -HTZ-Athéna- Amazon e-book & distribution. 160Pages - 14€ 

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