samedi 16 juin 2012

Sagan et fils, de Denis Westhoff, Stock, 256p. 19€, 2012

"Sagan et fils"extrait :“Ma mère aimait ces mythomanes de la nuit. Les mythomanes sont des gens le plus souvent charmants, disait-elle, car ce sont des gens forcément poétiques puisqu’ils doivent trouver tous les moyens d’embellir la vie. (…) Et puis ces gens mentent pour plaire, et lorsqu’on veut plaire on est toujours charmant. Ma mère préférait cent fois qu’on lui raconte une histoire incroyable mais fausse, plutôt qu’un récit banal, ennuyeux, mais plein de vérité.” 1954, Julliard met la main sur un manuscrit qui deviendra un grand succès de librairie et révèlera un grand écrivain : "Bonjour tristesse" de Françoise Quoirez, qui choisira à la place de son patronyme : Sagan, comme la vraie princesse de Sagan(Talleyrand-Périgord)... C'est une jeune fille sage de la petite bourgeoisie, comme Brigitte Bardot, mais elle révèle une époque, celle d'une France sûre d'elle-même, malgré les tourments de la décolonisation en cours... Dien-Bien-Phu, les Accords de Genève et le démarrage des attentats en Algérie, sont de cette même année 1954. Mais l'Europe veille avec l'OTAN, l'Union soviétique attaque tout azimuth sur le globe etc. On craint une guerre nucléaire, mais on danse encore à Saint-Germain-des-Prés, et Julliard n'est pas loin, rue de l'Université. "Bonjour tristesse" fait un malheur, la petite bourgeoise croule sous le succès et l'argent pleut. Elle était faite pour le plaisir, l'insouciance, les "bêtises", le vie "cinéma" de ces années d'exubérance, d'espérances folles, des Trente glorieuses en marche. Toute une génération surgit dans le pouvoir artistique, intellectuel : Daniel Gelin, Danielle Delorme, Jean Vilar et le TNP, aux USA c'est le King : Elvis Prestley qui règne... Un monde en marche et "Bonjour tristesse", le ton de l'époque comme "Aimez-vous Brahms ?", comme "Le Château en Suède" etc. Sagan vit à cent à l'heure avec son ton mi-curieux, mi-ironique, toujours intéressée par ce qui se passe... préférant les oiseaux de la nuit aux faucons du jour. Mauriac, Mitterrand, tressent des lauriers, s'étonnent, mais sont heureux de cette continuité. La bourgeoisie est ravie...Elle est décrite dans son côté superficiel et délicat, elle fait pendant aux oeuvres plus fortes de café d'un Sartre ou d'un Camus, mais elle est là, comme l'oeuvre de Fitzgerald des années 30 dans l'univers américain et français. Puis le monde va tourner, une époque chasse un autre, les mentalités, les comportements changent,les rêves aussi et Robert Julliard disparaîtra, Mauriac, De Gaulle, toute une jeunesse de Saint-Germain-de-Prés... Les trottoirs de voitures vont remplacer les boulevards vides, le mois d'Août ne sera plus le mois où Paris sera vidé de ses habitants, les visages ne seront plus les mêmes... Et un jour, Françoise Sagan, au bord de ses vicissitudes aura ce cri devant Renaud Donnedieu de Vabres, le ministre de la culture de l'époque, venu la voir à l'hopital : "Je suis au fond d'un puits !"... Voilà son fils Denis Westhoff, piété filiale rare aujourd'hui, s'est penché sur elle, sur son oeuvre qu'il veut défendre, qu'il a arraché au demi-oubli, aux griffes déchiquetantes, et avec Jean-Marc Robert, un éditeur qui peut-être aime l'oeuvre de sa maman, s'est lancé à la faire revivre. Il a écrit ce livre sur sa mère et lui, enfant, adolescent. Cyrille qui l'a connu, l'a fréquenté, disait qu'il était d'une extrème sensibilité, d'une extrème gentillesse. C'est un livre à lire, et une oeuvre a conserver dans sa bibliothèque... Elle paraîtra un jour dans "La Pleïade" - 18/20 H.Z.

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