mercredi 16 février 2011

"A DEFAUT DE GENIE", autobiographie, François Nourissier, Gallimard, 2000

François Nourissier vient de mourir. Son "A défaut de génie " est une re-visitation, au laser, de sa vie.
Ce livre est une révision déchirante des valeurs avec lesquelles l’auteur a vécu ce XX°siècle. Ce sont les Mémoires d’un Rastignac du XX°siècle qui retrace sa vie par touches impressionnistes, et qui, désabusé, enlève le masque qu’il a porté toutes ces années pour jouer la comédie des « Lettres » et gravir les échelons de la renommée, de la réussite .
Derrière les griffures, perce le sourire, parfois la tendresse, notamment dans les pages consacrées à Cécile et à ses enfants, et ses petits-enfants. Le lecteur attentif doit se livrer à un véritable jeu de piste pour suivre le long fleuve pas très « tranquille » de la vie de ce petit-bourgeois catho à la belle gueule bourré d’ambition, et comme dans tout bon roman policier il lui faut « cherchez la femme » ou, plutôt, « les femmes ».
La littérature et les femmes, de Chardonne, Montherlant à Mauriac, tout un monde défile que l’on aime ou que l’on a oublié, Clara et sa fille Florence avec Gallimard/Denoël, Edmonde avec Vogue/Adam/ Plon/ et « Adieu Palerme »,… et d’autres encore qui vous surnomment Monsieur Deux-Fois parce que peut-être pas très appétissantes, et ainsi, comme dans
« Carnet de bal » où le valseur passe de l’une à l’autre, l’auteur va de l’une à l’autre, grimpant « chaque fois »( ?) d’un degré à l’autre. Fascination du jeu de piste du « qui est qui ? » les places à conquérir…de la carrière à réussir… Et au soir de sa vie, comparer celle-ci à celle de ses contemporains, de ses anciens condisciples, peut-être que vivre n’aura été qu’une surveillance de tous les instants du parcours des « autres », et enfin, le « j’ai réussi ! je suis comblé d’honneurs !» et l’ « et puis après ? » janséniste, et dans quel état ? Avec le désenchantement au fond du cœur, les désillusions. « C’était donc ça ? » Un héros balzacien dans son palais hurlant de rage l’« A nous Paris ! » de sa jeunesse !
Ceci sans illusion lyrique, un long constat de police, une rude auto-explication très proche du « Nœud de Vipères » de Mauriac. L’amertume, la colère que ce n’était pas ça ce qu’on avait voulu, rêvé, que ce n’était pas ça le but, la démarche profonde, secrète, vitale… Où est mon œuvre ? Mais où donc est-elle ? Constatation amère de toute une vie : "Je ne suis pas un génie! "
Et dans le chapitre « Elsa-Louis » la perception d’avoir été floué, très intense, dans les « petit », les « fils » du bel Aragon, farceur et simulateur de la bonne conscience, de la littérature, de la « cause du prolétariat » des « Lettres Françaises » pour un cocon douillet fourni par le PCF à l’ombre des Goulags et de l’ogre Staline, du petit Père des Peuples, l’abominable salaud dominant ce siècle de salauds. Des conards criminels « allumant » des drapeaux rouges devant les regards éperdus de knouts qu’ils vont hacher menu, de la chair à canon. Similitude avec les mensonges ostentatoires d’un Sartre décortiqués par BHL dans son « Siècle de Sartre ».
Et cette interrogation dramatique : qu’aurais-je fait si j'avais eu quelques années de plus pendant l’Occupation ? avec ma culture étriquée de petit-bourgeois, mon snobisme devant le charme du lieutenant Heller, les séductions d’un Morand, d’un Drieu, d’un Chardonne, les triomphes d’un Montherlant, d’un Anouilh, d’un Sacha ? Les beautés d’une Corinne Luchaire ? Quid de moi ?
L’inespoir ?
Heureusement que cette tendresse honnie perce dans ces pages sur les enfants, sur Cécile, sur…
Ce livre, c’est la chevauchée du siècle. Les confessions d’une des plus grandes duperies de l’Histoire.: «J’y étais, j’y ai participé, j’ai grimpé au cocotier, je m’y suis accroché, mais mon Dieu pourquoi ? qu’ai-je découvert ? »: Rien, si : ma vacuité.
Un livre intéressant par sa vérité, son courage désespéré, son mépris pour les fatras idéologiques, les parades de ce siècle. A peut-être mettre dans sa bibliothèque à côté des Mémorialistes, près des « Mémorables » de Maurice Martin du Gard ?
Ses autres ouvrages ne sont que petitesse. Ce sont des livres d'un homme de lettres besogneux, triste, qui savait n'être pas un génie et qui cherchait à faire prendre pour des lanternes, ses vessies. Il n'a pas senti la beauté des paysages, de la nature, des pays changeant, la profondeur de l'espérance. A la place qu'il occupait dans les Lettres, combien d'écrivains en devenir a-t-il découragés, rejetés dans l'oubli, pour rester tout en haut du cocotier ?
Son style est banal, presque médiocre. "Un robinet d'eau tiède" écrira un critique.
10/20
Henry Zaphiratos

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