"Dorian ne savait pas ce qu’était l'Orangerie. Il s'imaginait une grande allée d'orangers et comprenait très bien qu'une jeune fille romantique eût l'idée d'y passer une aussi belle journée, aussi se laissa-t-il guider par Rachel. Il la sentait frémissante de plaisir. La main passée à son bras Rachel disait sa joie d'être à Paris, de marcher le long de la Seine vers la Concorde. Tous ces lieux qu'elle avait vus en photos à Vienne, maintenant étaient là devant elle. Elle vivait cet instant magique. Elle respirait l’air léger, aérien. Elle trouvait aux lignes du Grand et Petit Palais des airs de ressemblance avec des bâtiments de sa Vienne bien-aimée. Dorian l'écoutait attentivement. Elle lui faisait découvrir un monde qu’il ne soupçonnait pas. Pour lui, Paris c’était la fête, les belles choses brillantes, mais l’envers de celles-ci, il ne le voyait pas, il ne le soupçonnait même pas. Il ne voyait en cette ville que la capitale, le lieu premier, le centre d'où tout venait, d'où tout partait, une machinerie de la puissance gouvernementale et administrative, enjolivée de palais, de monuments. Il essaya de regarder autrement, à travers ce qu'elle lui disait dans le flot de son enchantement.
- Pauvre roi, dit-elle, tout à coup en arrêt, devant la place de la Concorde. Il regarda sans comprendre l'Obélisque et les fontaines.
- C'est là, murmura-t-elle, désignant du doigt un endroit de la place, du côté de l'Hôtel Crillon.
En avançant dans les jardins des Tuileries, elle lui parla de Louis XVI, de Marie-Antoinette. Il écoutait plus le son de sa voix que ce qu’elle disait. Elle avait un timbre musical qui le remuait. Dorian, tu es pris, se disait-il.
Aux Tuileries ils montèrent les marches qui menaient au musée de l’Orangerie qu’il découvrait avec elle. Il la suivit en silence dans la salle des Nymphéas, l’observant à la dérobée. Ses cheveux blonds tombant en cascade sur ses épaules lui donnaient un air de sportive et d’enfant gâtée. Elle resta fascinée devant le grand panneau de Monet, devant l’étang aux douces couleurs de bleu, de mauve, de blanc dans lequel le regard se perdait, l’esprit s’apaisait. Dorian se plaça près d’elle pour voir de son angle, comme si il voulait se pénétrer de son être par la vision qu’elle avait du tableau.
« Fantômes de fleurs, ombre des feuilles mêlés aux eaux de la surface de l’étang. Le reflet du nuage blanc sur le temps, la vivante immobilité, le nénuphar éternel. On dirait que la beauté est suspendue dans ce calme.»
Rachel murmurait ces mots comme dans un rêve. Dorian recula pour la laisser seule dans sa contemplation.
Qu’elle est fascinante ! se dit-il. Elle est d’un autre monde. Différent du mien, de Louise, de papa… Dorian découvrait qu’il vivait lui aussi dans un nouveau monde depuis qu’il avait atterri à Paris, depuis qu’il avait rencontré Angelo… Rachel. Un nouveau monde, un monde jeune, enivrant, totalement différent de celui de l’Asie tropicale, de sa lourde chaleur, de ses fleuves, de ses rizières, de ses villes aux peuples bigarrées et simples, de ses montagnes, de ses rochers jaillissant de l’eau translucide du Pacifique."
Extrait de "Une année à Paris-1938-" de Henry Zaphiratos -copyright 2011-
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