mercredi 1 janvier 2014

Présentation d'un Extrait du roman "LE VOYAGE DE DORIAN" de H. Zaphiratos - Publibook Editions 2014 330p.

Le Voyage de Dorian 

EXTRAIT :
 (…) Angelo secoua la tête.
-Et tu appelles cela de l'amour ! dit Dorian en haussant les épaules.
Le moteur de la voiture ronronnait en traversant l'Ile de la Cité.
-Je te choque ?
Angelo fit signe qu’il s’en foutait.
-Parce que ces types qui manifestaient m'insupportent, parce que je ne prends pas les adresses, parce que nous ne sommes pas du même bord... Je suis un anarchiste tu comprends ?
Dorian s'esclaffa :
-Anar…quoi ? De quoi parles-tu ? Les manifestants, les juifs, connais pas et je m'en fous... Je ne sais qu'une seule chose : c'est que tu as loupé une belle occasion, parce qu'elle n'est pas mal...
Angelo haussa les épaules. Mais comment ce type pouvait-il vivre dans un tel détachement, une telle indifférence aux êtres et aux choses ? Il voulut engager une sorte de débat, mais il se ravisa. Ce fils de riche dans sa belle bagnole ne comprendrait rien au Socialisme, au Communisme, à la Cause des peuples, au marxisme, au capitalisme, au fascisme, à l’Action française. Dorian sifflotait en conduisant. Angelo, écœuré, voulut descendre, marcher pour réfléchir, comprendre, puis il se dit que c’était ce type-là qu’il fallait qu’il comprenne ! Ce type qui vivait en se fichant de tout. Mais il se réveillerait ce Dorian. Il se réveillerait tôt ou tard ! et, cela serait alors saignant. Il fallait qu’il soit là ; qu’il voit comment il réagirait. Il émanait de lui une telle certitude de la vie ! Angelo ferma les yeux, se cala dans le fauteuil de cuir et se laissa aller au doux ronronnement de la voiture, laissant les images des heureuses folies de la nuit remonter à sa mémoire. Il oubliait ses compagnons de combat politique : Riggi, Bernardo, Gian-Franco, leur groupe antifasciste. L’heure était à l’engourdissement des êtres et de la nature dans cet hiver de givre. Les gens déambulaient sur les Grands boulevards. Février s'achevait. Le jour déclinait. Les enseignes des cinémas s'illuminaient, les vitrines des grands magasins qui préparaient le Carnaval, éblouissaient. A l'angle de la rue Montmartre une petite foule de badauds entourait une chanteuse de rue et son accordéoniste, héroïques dans le froid. Plus loin, rue Drouot, des bonimenteurs sur des tréteaux de fortune hélaient les chalands. Le monde lui parut simple, les gens emmitouflés dans le silence de l’hiver, plongés dans leur univers quotidien, déambulaient. Un monde de paix. Angelo se demanda s'il pourrait un jour vivre comme eux. -Est-ce cela, la vie ? La vraie vie ? Il songeait aux chemises noires, aux bottes qui hantaient les rues de Rome. La voiture filait vers les Champs-Élysées. Il se dit que cette vie tranquille de Paris n’était qu’apparente, qu’elle pouvait disparaître brutalement dans une grande tourmente avec le bruit des talons des colonnes des Ligues patriotiques, les cortèges des syndicats. Il admira l’insensibilité, le détachement de Dorian. C'était une manière de vivre à la française, en ignorant le reste du monde. Le bolchevisme, le nazisme, le fascisme, bon pour en débattre, s’enflammer dans des meetings ou des défilés, bon pour s’apitoyer sur les lointaines victimes à qui l’on accordait une obole. Bon pour les sphères intellectuelles, politiques, syndicales, pour des excités, pas pour eux. Entre temps ils foutaient la paix à la grande masse amorphe dans les champs, les maisons, dans leur univers de petits bonheurs. Les films des actualités du Cinéac revivaient en lui avec les exécutions sommaires, les cadavres de femmes, d'enfants dévorés par les loups, les villes bombardées de Chine, d’Espagne, d’Abyssinie... Il chercha à fixer son esprit sur d’autres sujets et, soudain il ressentit une impression de délivrance, il chercha à comprendre d’où cela lui venait, en vain, elle était là, tapie au fond de lui, comme un présage de bonheur. C’était ce sourire, ce visage de jeune fille.  (…)

 Extrait du roman "Le Voyage de Dorian" de H. Zaphiratos

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