vendredi 6 janvier 2012
JE SERAI PRESIDENT. (Jeunesse des six chefs d'Etat de la V° République) de Robert Schneider, Editions Perrin, Nouvel Obs. 312 pages, 2012 -Extraits du Nouvel Obs-
DEUX MONSTRES SACRES POUR LES PRESIDENTIELLES A)
MARINE LE PEN :
"Le 2 novembre 1976, 4 heures moins le quart du matin. Un froid intense tire de son sommeil la petite fille âgée de 8 ans. Un silence de mort règne. Marine Le Pen n'a pas entendu la déflagration de l'attentat qui vient de souffler son appartement du 9, villa Poirier, dans le 15e arrondissement de Paris.
La benjamine de la famille Le Pen est indemne. Juste quelques égratignures dues aux éclats de verre. Comme Marie-Caroline et Yann, ses deux soeurs qui dormaient auprès d'elle, ses parents échappent à l'attentat. Le lendemain, "le Parisien" titre : "Le miracle de la Toussaint".
Les auteurs ne seront ni retrouvés ni même identifiés. Mais une conscience politique est née. Plus rien ne sera jamais comme avant.
A l'âge des poupées...
"Il a fallu cette nuit d'horreur pour que je découvre que mon père faisait de la politique. Et c'est là, à l'âge des poupées, que je prends conscience de cette chose terrible et incompréhensible pour moi : mon père n'est pas traité à l'égal des autres, nous ne sommes pas traités à l'égal des autres", livre Marine Le Pen dans son autobiographie, "A contre flots".
"Cela va devenir un élément majeur de ma propre construction." Tout est dit. Quitte à naviguer sans cesse contre les vents, le moussaillon Marine restera toujours dans le sillon du capitaine Jean-Marie.
Un jour d'avril 2004 sur le plateau de TF1, elle assène :
"On naît la fille de Le Pen, on meurt la fille de Le Pen. C'est l'homme de ma vie. Il a construit la femme que je suis."
Peu lui importe que ce père ne fût pas aussi présent qu'une fille est en droit de l'attendre. Rien là qui ne soit personnel ! Ses aînées, Marie-Caroline et Yann, ont connu le même sort. Jean-Marie et sa femme Pierrette forment un couple bohème et insouciant qui part volontiers en virée en laissant les trois filles aux bons soins de leur nounou bretonne. Le plaisir avant tout ! La politique aussi.
"Plus j'avance dans la vie, comme dans le combat politique", écrit la nouvelle patronne du FN, "et mieux je peux comprendre ce qu'on a pu, à tort, prendre chez lui pour de l'indifférence. Jean-Marie Le Pen est avant toute chose un homme politique et la politique nécessite un certain nombre de sacrifices. La vie familiale en fait partie."
N'a-t-elle d'ailleurs pas adopté la même attitude à l'égard de ses propres enfants ? "A Jehanne, Louis et Mathilde, qui comprendront plus tard que le temps que je n'ai pas passé auprès d'eux, je l'ai tout de même dépensé pour eux."
Ainsi est rédigée la dédicace de son autobiographie...
Défendre l'icône paternelle
Née à Neuilly en 1968, Marion, Anne, Perrine Le Pen - son vrai nom à l'état civil - met pendant toute son enfance un point d'honneur à défendre l'icône paternelle. A l'école, où elle se plaint des brimades des enseignants qui l'obligent à cacher sa médaille de baptême ou à ôter le brassard noir qu'elle arbore après l'élection de François Mitterrand.
Dans le quartier cossu de Saint-Cloud, où habitent les Le Pen depuis l'attentat, sous le regard parfois malveillant des voisins, qui ne goûtent guère les idées ou le côté clinquant de cette curieuse famille.
A la faculté de droit d'Assas, où on lui demande d'étudier un arrêt rendu contre Jean-Marie Le Pen pour "apologie de crimes de guerre". Jusqu'au sein de la cellule familiale qui éclate un mercredi de septembre 1984. Yann lui annonce : "Maman est partie."
L'univers de Marine s'écroule : "Je vais passer des semaines, des mois à attendre. En vain." Au lieu de la voir, elle va entendre sa mère "dire des horreurs sur son mari" dans tous les médias. Elle prend alors la plume pour demander au juge d'accorder le droit de garde à son père. "Le Menhir" et ses filles se soudent définitivement contre le reste du monde.
"Avaler un bol de crapauds tous les matins"
L'engagement ultérieur de Marine est déjà en germe : un jour, elle réhabilitera l'image du père victime de tant d'"injustices" à ses yeux. Mais chez les Le Pen, on ne se plaint pas. Le fondateur du FN, qui n'aime rien tant que provoquer, supporte bien l'hostilité. Ses filles beaucoup moins mais elles sont priées de garder le silence. "Vous pourriez être nues dans la neige en temps de guerre !", martèle le père.
La benjamine n'entend pas le décevoir. D'autant qu'elle sait que tous ses "propos pouvaient être utilisés contre lui, avoir une incidence sur sa vie à lui". Elle ne serait certainement pas opposée à ce qu'il ait aujourd'hui avec elle une semblable délicatesse...
La "fille du diable" souffre mais ne le montre pas. Elle se forge un caractère à toute épreuve, apprend à "avaler un bol de crapauds tous les matins", comme elle dit. Enfant, c'est un "garçon manqué" et, déjà, "un chef de bande", confie sa soeur Yann. Elle regarde à la télé les défilés du 14-Juillet avec son père, ancien para d'Algérie, ou entonne en voiture tout le répertoire des chansons militaires.
La "night-clubbeuse"
Adolescente, c'est une jeune fille joviale. Toujours partante pour faire la fête - alcoolisée si possible à Paris comme en Bretagne, sur les terres de ses aïeuls paternels. Les pistes de danse de la Casbah et des Chandelles à Carnac s'en souviennent encore. Au FN, la dernière des filles Le Pen sera longtemps surnommée "la night-clubbeuse". Comme si ce goût de la fête n'était pas aussi un héritage de ses parents et de leurs réceptions fastueuses de Montretout, l'hôtel particulier de Saint-Cloud.
Bonne élève, meilleure à l'oral qu'à l'écrit, plus bachoteuse que bûcheuse, Marine ne met pourtant pas tout de suite ses pas dans ceux de son père. A la fac, elle s'oriente vers une carrière d'avocate. Mais on n'échappe pas si facilement à son destin. Surtout quand on a grandi au coeur de la politique, autour de la table familiale, où Le Pen invite ses amis à refaire le monde, ou encore sur le plateau de "l'Heure de vérité" en 1984, où le leader d'extrême droite s'affiche avec ses trois filles blondes. La présidente du FN a confié un jour:
J'ai longtemps cherché à échapper à la politique. Tous les malheurs de ma vie ont été liés à la politique."
Mais l'hérédité et son nom la rattrapent. Le souci aussi de perpétuer la grande oeuvre familiale. Et, comme toutes les petites filles, l'envie d'être l'élue de son père.
Je me suis rendu compte que je n'arriverais jamais à le faire venir sur mon propre terrain. Donc il fallait que je me rende sur le sien."
B) NICOLAS SARKOZY :
"On ne naît pas président. On le devient. Pour autant, il y a dans les gènes de ceux qui se lancent un jour dans cette aventure quelque chose de tellement atypique qu'on est bien obligé, pour comprendre, d'avancer sur un terrain que la laïcité réprouve : celui de la prédestination. Avant d'y penser "en se rasant", ceux que l'on nomme les présidentiables y ont sans doute songé, avant même de savoir à quoi ressemblait le grand jeu de la politique. Déjà, tout petit...
Dans "Je serai président. Enfance et jeunesse des six chefs d'Etat de la Ve république", un livre fourmillant de révélations et d'anecdotes, notre collaborateur, Robert Schneider raconte la naissance et les secrets de leur vocation.
Le "Nouvel Observateur" en publie les bonnes feuilles. Voici le passage sur la jeunesse de Nicolas Sarkozy. Retrouvez d'autres extraits dans l'hebdomadaire du 5 janvier 2012.
"Si je fais de la politique, c’est pour monter très haut. "
Nicolas Sarkozy le confie volontiers aujourd’hui : il a toujours voulu être président. Du plus loin que remonte sa mémoire, il en a rêvé. Bien avant de se raser. A l’âge où les petits garçons veulent êÍtre pompier ou footballeur. En 1974, en pleine campagne présidentielle, le militant RPR de 19 ans annonce à ses amis : " Si je fais de la politique, c’est pour monter très haut. "
La même année il glisse à des copains de la fac de Nanterre : " Un jour je serai président de la République. " Lui ne se réfère pas à l’Histoire, ne se dit pas porteur d’une ambition pour la France, il exprime une volonté de revanche née des humiliations dont il a souffert dans son enfance. [...]
Un samedi de mars 1974, Nicolas Sarkozy pousse la porte de la permanence de l’UDR, installée dans un ancien bistrot dans une ruelle peu fréquentée de Neuilly. Il a 19 ans. Le local est quasiment désert. Le secrétaire de section et un militant l’accueillent, visiblement étonnés qu’il se présente ainsi spontanément.
"Giscard ? Ce n’était pas ma tasse de thé"
Quelques jours plus tard, le 2 avril, Georges Pompidou meurt. Sarkozy, le nouvel adhérent, se lance à fond dans la campagne. C’est lui qui, à Neuilly, colle le plus d’affiches, distribue le plus de tracts pour Jacques Chaban-Delmas, le candidat du mouvement. Chaban battu, Hugues Dewavrin, leader des jeunes giscardiens de Neuilly, propose à Sarkozy de rejoindre le parti du nouveau président.Nicolas refuse : " Giscard ? Ce n’était pas ma tasse de thé. J’aimais le côté populaire, tellement français, des gaullistes. " Ces giscardiens bien nés ressemblent trop aux jeunes BCBG qui l’ont humilié. Il les déteste.
A l’UDR, Sarkozy se rend vite indispensable. Le local est sale : il le nettoie. La peinture des murs s’écaille : il les repeint. Déjà, ce trop-plein d’énergie, ce besoin d’activité, cette propension à tout faire lui-même. Très vite, dans les réunions de section, c’est lui qui organise, lui qui parle, lui qui impose. On le remarque forcément. Déjà cette volonté de prendre les autres de vitesse, cette soif d’arriver, d’être reconnu. Pour être dans le bon wagon, il se met dans le sillage du vainqueur. Chabaniste, il a d’abord considéré Chirac comme un traître rallié à Giscard. Mais lorsque le "traître" prend le contrôle du parti gaulliste, il devient chiraquien.
En 1975, un an après son adhésion, Nicolas intègre l’équipe de Robert Grossmann, le patron des jeunes gaullistes. Première émission sur FR3, première prise de parole aux Assises départementales des Hauts-de-Seine. Charles Pasqua le remarque. Ce qui lui vaut de monter à la tribune, devant 25 000 personnes, aux Assises nationales, à Nice. Il a deux minutes pour convaincre. Alors, il fait gros :
J’ai la tête dans les étoiles, vous êtes devant moi [les dirigeants du parti], vous êtes mes idoles. Je suis jeune, mais comme vous je suis gaulliste, car je sais qu’être gaulliste, c’est être révolutionnaire. " Succés garanti !
Déjà ce culot monstre, ce sens de la formule qui ne s’embarrasse ni de nuances ni de subtilité. On l’ovationne. Il confiera : " J’ai entendu des applaudissements qui interrompaient mon discours. J’étais ébloui par les lumières, je ressentais comme une forme d’ivresse. Pour un peu, je ne serais plus descendu de la tribune. " Ivresse de succés, ivresse de soi. Il n’aura de cesse de recommencer. Il sait désormais qu’il a fait le bon choix : seule la politique peut provoquer de telles émotions, lui donner cette reconnaissance et cette chaleur dont il a tant manqué. Achille Peretti, le maire de Neuilly, apprend que ce jeune orateur survolté est militant dans sa bonne ville. Il lui promet une place sur sa liste, en 1977. A 22 ans, Nicolas deviendra donc conseiller municipal.
En attendant, toujours en 1975, il organise avec Grossmann un rassemblement de 25 000 jeunes qui scandent : "Chirac, président !" Les organisateurs du meeting sont invités à Matignon. Chirac glisse à Sarkozy : "Toi, un jour, je te ferai ministre. " Charles Pasqua aussi l’a repéré. Il le nomme dés 1977 délégué national du RPR à la Jeunesse. Grâce à Pasqua, Sarkozy fait son service militaire à Paris, à la caserne Balard, ce qui lui permet de continuer à militer.
24 mars 1981, Jacques Chirac (président du RPR) et Nicolas Sarkozy, alors membre du comité central du RPR, chargé de la jeunesse. (AFP)
A Neuilly, Nicolas se rend indispensable. Il est toujours là, prêt à résoudre les problèmes. Aux municipales de 1983 il devient adjoint au maire. Lorsque Peretti meurt brusquement d’une crise cardiaque, le 14 avril 1983, Pasqua, fraîchement élu dans la ville, fait figure de successeur. Mais l’ancien patron du SAC sent encore le soufre et le pastis. Il n’a pas le style Neuilly. Et il commet une grave imprudence en confiant à Sarkozy le soin de faire le tour des conseillers municipaux pour les convaincre que leurs préventions ne sont pas fondées. Ce dernier, après consultations, décide que Pasqua sera battu par le candidat centriste et que lui, Sarkozy, est le seul gaulliste capable de l’emporter.
On lui prête alors ce mot : "Je les ai tous niqués !"
Pasqua se sent trahi. Il demande l’arbitrage de Chirac qui charge Bernard Pons, le secrétaire général du mouvement, de dissuader le jeune ambitieux. Mais Sarkozy tient bon : " Si Jacques Chirac a quelque chose à me dire, qu’il m’appelle directement. Je lui dirai qu’avec Pasqua on perdra Neuilly." Chirac n’appellera pas. Pasqua finit par se retirer. Sarkozy est élu dans une atmosphère houleuse. On lui prête alors ce mot : "Je les ai tous niqués !"
Déjà ce manque de tenue, pour ne pas dire cette vulgarité dont il donnera tant d’exemples plus tard. Imagine-t-on un instant l’un de ses prédécesseurs recevant des journalistes dans les jardins de son ministère, torse nu, affalé dans une chaise longue, Ray Ban sur le nez, un cigare à la bouche, une radio branchée sur Nostalgie et leur disant : "Ca ne vous dérange pas que je reçoive torse nu ? Il fait si beau, on est entre potes..." Et encore, évoquant sa solitude après le départ de sa Cécilia : "C’est incroyable ce qu’on raconte sur moi à Paris, que je les saute toutes. C’est quoi ces conneries ! J’suis pas un clébard, moi !" [...]
© Editions Perrin
"Je serai Président. Enfance et jeunesse des chefs d'Etats de la Ve République", 312 pages.
(Retrouvez les bonnes feuilles du livre de Robert Schneider dans le "Nouvel Observateur" du 5 janvier 2012)
Par Robert Schneider
Julien Martin et Maël Thierry"
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