vendredi 9 avril 2010

Trop bien élevé, de Jean-Denis Bredin, Grasset, 2007, 134p.

Le XIX°siècle victorien, la III° République bourgeoise, l'Europe des monarchies et des princes russes ont imprégné la haute et petite bourgeoisie française. "Il fallait faire comme "Eux". Eric von Stroheïm montre très bien dans ses films cette façon de se cambrer la taille, de prendre un air lointain et suffisant, de se tenir strictement à table, de s'incliner cérémonieusement en inclinant légèrement le buste et la tête lorsqu'on parle etc. (Voir Louis Salou, Pierre Fresnay dans leurs films). Tout ce cérémonial a imprégné et sclérosé les hautes couches de la société française de la fin du XIX° et du début du XX° siècle. Plus que le Front populaire, il faudra la terrible secousse de la 2°guerre mondiale, l'effarement d'une grande partie de cette bourgeoisie qui s'était "soumise" à un vieillard soi-disant "sauveur", pour bousculer cet ordre de choses. Jean-Denis Bredin dans son petit livre-témoignage "Trop bien élevé" retrouve son enfance, bribe par bribe, depuis ses huit, neuf ans, et décrit la séparation du monde des Parents de celui des Enfants, dans cette caste. La préciosité tranquille de la fortune, du luxe,de l'étiquette, du silence et de l'ennui... Juliette Greco chantait "Je hais les dimanches" Jean-Denis Bredin écrit aussi qu'il les détestait, entre la messe, la promenade au Bois... comme soixante ans avant, Rimbaud les haïssait que sa mère trimballait avec ses soeurs, deux par deux,dans les jardins de Charleville.
Le froid, la lassitude, la mauvaise hygiène avaient raison des organismes, et Jean-Denis Bredin écrit qu'il était très souvent vêtu de noir, couleur de deuil. Son père meurt, il a 8 ans. Il ne s'en souvient presque pas. Sa mère se remarie, la vie suit son cours jusqu'à la guerre.
L'enfant ne vit pas ce traumatisme. Il est trop jeune. Il suit ses cours à Charlemagne, parfois, aux alertes, on descend dans les caves.
Mais ce qui est très surprenant dans ce témoignage c'est la façon "Le silence des agneaux" de toute la population pour tailler, coudre et accepter "l'étoile jaune"
infâme qu'une administration française veule avait ordonné. L'enfant découvre sur ses camarades cette étoile sans comprendre, puis les voit disparaître, entend des cris la nuit, à l'aube... A revoir les documents filmés en couleur de l'époque, montrant les passants décontractés dans les rues comme si rien n'était, à lire la débrouille pour se chauffer, manger... l'acceptation en un mot de tout (les théâtres, les cinémas étaient pleins - lire "Les Français au quotidien 1939-1949 d'Eric Alary-Bernadette Vergez-Chaignon, Gilles Gauvin,chez Perrin), de tout, même de l'impensable, dénote une folie, à la "Le Pont de la rivière Kwaï" de Pierre Boulle, qui s'était emparée de toute une génération, de toute une classe de la société.
Le livre de Jean-Denis Bredin est un troublant témoignage. Cette anesthésie des esprits pourrait expliquer pourquoi l'Eglise et le pape, si prompts à prononcer l'Anathème, l'Excommunication, mettre à l'Index des livres, n'ont même pas lancé une Excommunication Majeure contre le Nazisme, et le régime de Vichy, au vu et au su de tous leurs méfaits.
"Trop bien élevé" donne à réfléchir.
Henry Zaphiratos

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