mercredi 13 avril 2011

PARIS LES ANNEES FOLLES 1920/ PARIS LES ANNEES BONHEUR 1947-1952

Ce matin à la radio, interview de Brassaï.
Avec la fin de la Première Guerre Mondiale et avec la révolution russe, une foule d' immigrants de l'Europe Centrale et de l'Est, fuyant la misère, la ruine, le non-être de l'effondrement des Etats, se réfugie à Berlin, puis à Paris, ce havre de paix auréolé de la victoire. Comme si cette victoire, si chèrement payée, donnait cette certitude en un avenir éclatant (il le sera avec la création du Dadaïsme, du Surréalisme, de l'Expressionnisme allemand etc.) Foule d'inconnus se passant le mot pour se réunir et vivre à Montparnasse, entre le Dôme, le Sélect, et la Coupole, logeant chez l'habitant dans des chambres d'hôte. Ils continuaient la tradition de l'Avant-guerre du Montparno des Modigliani, Picasso etc. créée par les étrangers en mal de chaleur humaine, au milieu d'un peuple indifférent, peut-être hostile, regardant d'un mauvais oeil cette "invasion". Ainsi, après la Seconde guerre mondiale, Saint Germain des Près enchantait ; il y avait une telle gaieté, une telle désinvolture, un tel mélange social. J'aimais me fondre dans cette foule chaleureuse, la nuit, et venir respirer un autre "air" (au Rouquet, au Flore, à la Dame Blanche que hantait Marcel Pagliero ; puis , bien plus tard, quand l'enchantement s'éteignit à la Rose Rouge, à la Fontaine des Quatre-Saisons, au Vieux Colombier, au Lorientais avec Sydney Bechet, Mezz Mezzrow, Claude Luter) tout ce monde disparut lentement dans l'anonymat des clubs à la mode. Le Montana redevint ce petit hôtel triste et provincial.
Mais en 48/49, il n' y avait pas cette foule d'étrangers que rappelle Brassaï, à cause du terrible écrasement de l'Allemagne et du Rideau de fer soviétique qui coupait l'Europe en deux. Et c'était la province qui venait se mêler aux jeunes bourgeois en mal de romantiques aventures parmi les Juliette Greco, les J.P. Sartre, les Merleau-Ponty... Cela faisait super sérieux ; la mode n'était pas au "déblocage", mais à la pensée vagabonde, alors que la IV°République sombrait lentement en Indochine. En 56 lorsque je suis revenu, poussé par un irrésistible besoin de "sentir" à nouveau ce parfum de liberté, de joie, je n'ai trouvé que de longues files de voitures, que le vide d'âme, le monde avait changé, je ne m'en étais pas aperçu, j'étais devenu autre, et les rires avaient disparu. Ceux qui avaient décidé de sauter dans le train de la vie, se trouvaient dans les niches dorées de la rue Sébastien-Bottin, de celle l'Université, de la rue Jacob ou autres, ou s'étaient casés dans le giron de l' ORTF, ou persévéraient dans leurs rêves périlleux de saltimbanque.
J'étais seul, perdu, me raccrochant à des lambeaux de souvenirs, il me fallait tourner la page, revoir les visages changés, les regards interrogatifs, les ambitions écroulés des survivants de cette épopée dérisoire d'une jeunesse morte. Tout cela allait finir sur les autels incendiés des barricades de Mai 68. Saint-Michel et Saint-Germain devenaient les temples de la consommation, la littérature au ventre devenait celle du paraître.
Brassaï raconte son père à Paris, à 85 ans, fou amoureux de la France, cherchant la tombe d'Hégésipe Moreau au cimetière Montparnasse. Cela me rappelle le livre de Rosenthal, le vendeur de perle, venu du Caucase, plutôt chassé du Caucase natal par son père,pour venir à Paris reconnaître les lieux, puis "chassé" par celui-ci de l'appartement familial de Paris... C'était une immigration brutale et flamboyante que celle des Années Folles.

Dans les annnées 20, deux principes de création cohabitèrent, l'un purement français et provincial, figé dans l'épouvante de la guerre de tranchées qui venait de se terminer avec son holocauste, et l'autre étranger, qui vient s’inserrer dans l'âme du premier, avec son regard neuf, son bouillonnement intellectuel, son sang nouveau.

Henry Zaphiratos (Extrait de "Devant la mer" - 22 Décembre 1997)

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