Le Mont des Oliviers
"Père
Que ce calice s’éloigne de moi,
Père
Qui êtes aux cieux
Que ce calice s’éloigne de moi.
Je suis homme
Père,
Homme, comme ceux qui craignent la souffrance,
Homme comme ceux qui labourent les champs,
Homme comme ceux qui ouvrent la terre de leurs mains,
Homme comme ceux qui prient.
Père,
Sur ce mont perdu dans l’univers,
Père,
Sur cet âpre sol ombragé de peupliers et d’oliviers,
Faites que ce calice s’éloigne de moi :
Je sens combien peu comme un Homme
Je pourrais boire ce fiel amer…
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Tous mes disciples dorment.
Comment donc, pourrais-je compter sur ceux que j’aime ?
Mes frères, comme vous reposez profondément !
On dirait
Qu’un monde repose sur vos épaules.
Et pourtant,
Vous qui marchez sur le sable brûlant,
Vous qui avancez à travers les ronces,
Sur des chemins trompeurs,
Que n’êtes-vous pas écrasés
Du poids de mon amour !
Hommes que j’ai faits."
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Après que le monde eût cessé son bouillonnement âcre,
Après que le ciel se fût ouvert pour recevoir la Terre,
Après que le premier arbre crût ses branches lourdes de destinées
Après que la mer eût commencé son rythme assourdissant,
Après que la première herbe, la première fleur, se soit développée l’une en fraîcheur, l’autre en couleur.
Dieu créa la bête.
Dieu créa la bête et celle-ci ressembla fort au monde
Parce qu’elle avait un peu de la volupté des fleuves,
Parce qu’elle avait un peu de la beauté des fleurs,
Parce qu’elle avait un peu de la fauve fureur des mers.
Et la bête fut.
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Puis Dieu prit de la glaise,
Quand le monde fut ainsi établi,
Et Il modela cette glaise,
Parce que Dieu absolument bon
Voulait répandre un bonheur absolu.
Et Dieu fit l’homme à son image.
Cependant, quand Il eût réfléchi
Sur son œuvre endormie,
Dieu pensa qu’il manquait quelque chose,
Et Dieu songea a l’Ennui
Des longs soirs,
Et Dieu dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. »
Alors il créa la femme semblable à l’homme.
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"Père
Que ce calice s’éloigne de moi,
Je me tiens près de vous,
Père
Et je veille."
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Puis quand Dieu les eût intronisés
L’homme et la femme,
Sur les terres et sur les mers,
Sur l’arbre et sur les plantes,
Et sur l’animal,
Quand Dieu les eût aimés
Comme jamais, Il n’avait aimé,
Alors survint le Mal.
Le Mal qui couvrit de plaies
Le corps de l’homme et de la femme,
Y pénétra et s’y installa,
Et un terrible combat s’engagea
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Alors Dieu se fit homme,
Il lui aurait aisé de dire : « PAIX »
Et le Mal aurait disparu,
Et tout serait redevenu comme avant.
Mais Dieu sait
Qu’Il n’aura rien fait
Tant que l’homme
N’a pas pleuré jusqu’à crier sa douleur,
Que les larmes sont l’Elixir de l’homme
Alors Dieu
Décida d’aller mendier
Des larmes.
La mort de Jésus
Il avait traversé la ville en délire
Où tant d’insensés tenaient des gageures étonnantes,
C’était à qui vouerait le plus de haine.
Ils l’entouraient
Lui crachant au visage
Et Dieu se taisait.
Il avait avancé avec la lourde croix
Dans les venelles d’une ville en rage
Où l’or, les quolibets, les insultes
Pleuvaient.
Qu’avait-on besoin de Dieu ?
Et Lui se taisait
Et Il était là.
Que venait donc faire Dieu sur Terre ?
Comme ils étaient bien avec leurs richesses,
Leurs femmes, leurs fils, leur luxe et leurs misères !
Et ils riaient, et ils chantaient.
Et Dieu se taisait.
C’était drôle quand même ce silence !
Quand on bafoue un homme
On a l’habitude de le voir se redresser,
Défier le monde, jurer de son innocence,
Ou étaler cyniquement son crime.
Mais ce silence… Non, jamais on avait entendu
Un tel silence !
Dieu se taisait. Il savait bien, oui, Il savait bien
Ce qu’était l’homme,
Puisqu’il était Homme.
Et Il se taisait.
Le peuple le regardait passer en ricanant,
Montrant les colonnes de son Temple.
Ah, le plus beau, le plus riche des temples !
Il lui montrait la conquête de la terre
En deux épisodes : le combat et la Victoire !
Et Dieu se taisait,
Parce qu’Il savait que l’homme faisait semblant
D’oublier le dernier épisode : celui de la Défaite,
De la cendre.
Il le savait, Lui, Dieu,
Que l’homme n’était qu’un être fourbe et lâche,
Une pauvre bête qui,
Voulait oublier le troisième épisode.
Et Dieu se taisait.
Maintenant, Il allait mourir.
Bien sûr, on ne savait pas que c’était Dieu,
Ou bien, on ne voulait pas le savoir.
Il allait mourir,
Et on lui jetait la haine à plein visage,
Et Il se taisait,
Et Il souffrait.
Mais il ne fallait pas le dire
Ils ne l’auraient pas cru !
Non, il ne fallait pas le dire.
Il fallait le voir.
Déjà on l’étalait sur la planche noire
Et sa face devenait bleue de douleur,
On l’étalait, on le frappait, on le clouait
Et Dieu ne disait rien.
Mais il y avait quelque chose de si terrible
Dans ce silence,
Que pour ne pas l’entendre, on s’esclaffait de plus bel,
Et on dansait autour de sa croix.
C’était quelque chose de terrible,
Mais Dieu ne disait rien…
Alors il se fit un grand silence,
Les hommes surpris qu’on ne criât pas,
Les hommes, effrayés que l’on retint
Si puissamment sa chair, malgré les coups,
S’arrêtèrent de chanter, de danser,
Et, quand le silence fut si grand
Que l’Univers suspendit sa course ;
Que les constellations s’immobilisèrent,
Que le Temps se figea,
Alors
Dieu éclata en sanglots.
Non à cause de la mort, puisqu’Il la commandait,
Mais parce que le cœur de l’homme est si froid,
Si froid, que son sang ne pouvait le brûler.
°
C’est ce sanglot solitaire, solitaire parmi tant de cœurs,
Ce sanglot douloureux plus grand que les temps,
Où tant d’astres se succèdent,
Qui, depuis tant de siècles,
Rôde par delà les horizons,
Que tant d’amertume et d’amour hantent !
- H.Zaphiratos "Les Sept Coupes"-Poésies-
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