vendredi 10 mai 2013

Le Fleuve de Feu de François Mauriac..; Grasset, 1923/1970

"Pendant des jours, nous avons désiré d'étreindre des corps. Nous nous persuadons qu'un corps peut-être possédé. Et le voici contre le nôtre. Nous brûlons à ce feu de sang. Par la science des caresses, nos mains le voient, nos yeux le touchent; il ne se défend pas, il nous est tout livré. Nous entrons en lui, nous buvons son souffle, nous ne possédons pas. La marée furieuse assiège, bat ce mur vivant, le traverse et ne le trouve plus. Nous nous étions dit :"Je me souviendrai de surprendre le mouvement mystérieux des genoux, le secret de ce qui relie le sein à l'épaule." Mais les inventions dernières de la volupté ne sont qu'une poursuite vaine. Nous ne trouvons jamais ce corps que nous cherchions."
François Mauriac : Le Fleuve de Feu P.118,

Bien sûr que nous trouvons ce corps que nous cherchions et toute la volupté et la douceur de l'être que nous aimons dans ces instants sublimes... 

Si l'on veut mesurer la distance de la Terre à la Lune en inspiration et étude des moeurs, on peut lire ce livre, très bien écrit, bien construit, mais dont les personnages sont d'un autre temps, d'une autre époque pour l'Occident, mais très présents dans certaines civilisations...
Le Fleuve de Feu, c'est le fleuve du désir de l'amour, du désir impérieux de vie que tout être porte en lui, et qui naît, s'exacerbe à la puberté, pendant la jeunesse, et anime toute l'existence... Pour Mauriac c'est le fleuve du péché, le péché de chair comme l'enseignent les prêtres, surtout s'il est "commis" hors mariage, ou dans l'onanisme, l'homosexualité etc. Les prêtres et les dames patronnesses ont lié à ce "péché", celui des filles-mères, des enfants conçus hors du mariage etc.
Comme le monde a changé ! Comme le cursus de l'hypocrisie s'est déplacé... Ce monde est mort, peut-être en reste-t-il des résidus au fond des vieux et délabrés confessionnaux... Ce n'est pas sûr. Le "roman" de François Mauriac est un vestige de ces temps terribles de la culpabilisation des êtres, de jeunes êtres dans l'ardeur de leurs désirs, de la mise au pilori de certaines mamans, des filles-mères, de certaines femmes vivant leur liberté...   Alors que Raymond Radiguet à 18 ans écrivait "Le Diable au corps", qui est une semblable histoire, le jeune François Mauriac écrit ce Fleuve de Feu. Le titre est grandiloquent comme sa perception du "crime"de la chair !... avec la subtilité d'un vieux serpent, d'un casuiste accompli, qui renverse la théorie du péché de la chair pour l'inclure dans le schéma de la création :"Cette furie pour se perdre, ce renoncement qu'à son comble le vice exige, n'étaient-ils souvent le signe d'une vocation ?"  et plus haut "... une lettre quotidienne où il lui était enseigné que l'Evangile est en partie l'histoire de soifs détournées des sources mortelles et qui trouvent l'eau vive." Ainsi le tour est joué, la "bonne conscience" est comblée...: le péché =  vocation..."Ne pleurez plus bonnes âmes votre péché est une sorte de vocation au péché" qui débouche sur "l'eau vive". Une formule Janséniste. Les millions de bien-pensants catholiques de l'époque, lecteurs de Mauriac, étaient rassérénés, leur péché de la chair, leur "vice" était  une "vocation", probablement nécessaire pour découvrir l'eau vive !
Daniel, le personnage de François Mauriac, son double, parle sans cesse de "pureté", confondant la pureté de l'âme, de l'esprit avec l'"hymen", la virginité d'une jeune fille. Il n'est troublé que par celle-ci. 
Reste que les personnages sont bien décrits, le style est brillant, la construction du roman remarquable.
Le monde a tourné, les êtres sont différents, les peuples sont différents, le regard sur la vie, les êtres, tout a changé, les hommes et les femmes sont plus libres, plus heureux hors dans ces carcans artificiels ... 
Dans le roman la perception de la guerre de 14/18 est en filigrane. La description du personnage du vieux c. de rentier, de la jeune-vieille bourgeoise, directrice de conscience... montre que chaque auteur est un manipulateur : "Regarde, lecteur, ce que je vois !". 
François Mauriac était animé de la dure certitude de ceux qui croient détenir la Vérité.
A noter :
"...elle (Gisèle) avait acquis ce regard terrible que bien peu osent retourner contre eux-mêmes - ce regard perforant, ce regard catholique. Elle ne parlait pas de ses droits à l'amour, ni ne se glorifiait de chercher l'amour idéal d'homme en homme. Non: elle mesurait d'un oeil lucide sa déchéance infinie." pages 151-152.
Où se trouve de nos jours ce "regard catholique" , celui de la bien-pensance, du politiquement correct ?... Probablement dans le long fleuve de la pensée de l'actuelle Gauche française...
Ce qui est très beau dans les textes de François Mauriac, c'est sa proximité avec la nature, les mots, les expressions, les images...
Henry Zaphiratos

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