Lisez l'interview de Rafaelle Simone, recueilli par Frédéric Joignot dans Le Monde Magazine, intitulé "Pourquoi l'Europe s'enracine à droite" à propos de son essai : "Le Monstre doux. L'Occident vire-t-il à droite ?" (Gallimard).
En reprenant son propos, nous pourrions nous demander si nous serions arrivés à une civilisation voisine de celle du Bas-Empire romain, lorsque la foule de Rome et des grandes cités réclamait aux autorités (l'Empereur-le Sénat) : "Du pain et des jeux" (Panem et Circences)?
Partant d'une évolution éventuelle des sociétés démocratiques envisagée par Tocqueville, dans son livre: De la démocratie en Amérique, Raffaelle Simone conclue dans sa théorie à l'anesthésie du peuple sous l'influence de la politique des grands groupes financiers, qui exploitant le développement exponentiel de la science et de la technique, précipitent toujours en avant les foules démocratiques dans leur course vers toujours plus de gadgets, de jeux, de loisirs, de "maternement", de compétition etc. Ce qu'il appelle la domination par "LE MONSTRE DOUX"...
Dans le système qu'il décrit la littérature expirerait. L'homme ne pouvant penser, ne pouvant plus agir, ne pouvant plus "être lui-même", étant dévoré par le consumérisme, la lutte pour vivre, il ne serait plus lui-même.
Extraits de textes de "La démocratie en Amérique" d'Alexis de Tocqueville, Chapitre VI intitulé "Quelle espèce de despotisme les nations démocratiques ont à craindre" : "Il semble que, si le despotisme venait à s'établir chez les nations démocratiques de nos jours, il aurait d'autres caractères : il serait plus étendu et plus doux , et il dégraderait les hommes sans les tourmenter." Et plus loin Tocqueville ajoute :" Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs dont ils emplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres."... Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort, il est absolu, détaille, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait objet de préparer les hommes à l'âge viril; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance... Il pourvoit à leur sécurité... prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages, que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?... Dans ce chapitre VI, Tocqueville continue : "...le souverain(démocratique) étend ses bras sur la société toute entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses, uniformes à travers lesquels les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule... ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie, les dirige... il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et réduit enfin chaque nation à n'être qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger... Il y a, de nos jours, beaucoup de gens qui s'accommodent très aisément de cette espèce de compromis entre le despotisme administratif et la souveraineté du peuple... " Fin de citation.
Rafaelle Simone nomme cette sorte de gouvernance de "Monstre doux" dont les trois commandements seraient :
1/ Premier commandement "Consommer" aidé et développé par la publicité
2/ Deuxième commandement "s'amuser", le "fun", des écrans partout, les événements tragiques estompés, assimilés à des "jeux télévisuels".
3/ Troisième commandement "Le corps jeune", le "jeunisme" par lifting etc.
Pour Raffaelle Simone, tous les mouvements de la pensée européenne, dont la pensée de gauche, se sont affaiblis, et n'offrent aucune perspective d'avenir à notre civilisation. Reste la gouvernance entre la droite et la finance qui avance sûre d'elle-même créant une civilisation de l'"hébétude".
On comprend mieux le pourquoi du "formatage" des esprits, y compris dans le domaine littéraire
Ces réflexions cependant ne tiennent pas compte de l'inconstance des hommes, de leurs possibilités imaginaires, des crises économiques, des mouvements des peuples, et de cette constatation historique que "les civilisations sont mortelles".
Entre ce qu'écrivait Tocqueville et aujourd'hui, il y a eu : la Guerre de Sécession, les guerres européennes de 1856/66/70, la guerre des Boers, la Grande guerre, la Seconde guerre mondiale, la Guerre froide, et des guerres périphériques...
C'est un livre à lire et à méditer.
Henry Zaphiratos
1 commentaire:
Excellente vision de l'orientation de notre monde, à rapprocher du livre de Attali: Une brève histoire de l'avenir.
Luc (BBC)
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