C'est un roman souk, bazar, virevoltant, avec une traduction "va-à-la-que-je-te-pousse !". Dimitri Stefanakis est un écrivain visionnaire et prolixe. Il remue l'Alexandrie de la fin du XIX° siècle, et du XX°siècle, comme on remue un shaker. Et il remplit un livre de vie, d'anecdotes, de personnages, de paysages constantinopolitains, alexandrins pour en faire un fouillis presque inextricable de sentiments, de désirs qui étreignent ses personnages, presque tous de la ville grecque, où il y a ceux qui tiennent le haut du pavé, ceux qui veulent grimper en haut de l'échelle, les acheteurs et vendeurs de coton, de cigarettes, de magasins, les manipulateurs levantins, Yvette, l'espionne française, le major anglais (armée des Indes), le summun de l'élégance : parler français, vivre français, se montrer dans les cafés à la mode, cancanner. Tout ça ne vole pas très haut. Même les combats homériques entre la langue "démotique" et la langue "kattharévoussa, entre les Vénizélistes et les royalistes, qui divisent les Grecs de l'époque de la Première guerre mondiale, se passe entre gens pragmatiques, sans grands sentiments. Cela grouille avec villas, bordels, salles de jeux, meubles, bibelots imitations France XVIII° siècle, luxe, volupté superficielle. Derrière tout ça les grands enjeux : le Canal de Suez, la Route des Indes, l'équilibre du Moyen-Orient... les guerres sous-jacentes, la Première, la tragédie de Smyrne, la Seconde avec Hitler, le Nazisme parce que Rudolf Hess était aussi un Alexandrin et que sa mère était grecque. La fascination pour le Berlin des Années 20, Berlin des travestis, de "Nosferatu le Vampire" "M.le Maudit"
Un roman de cross-over, de flashs, sans sentiment uniquement de désirs à satisfaire sur l'heure. Puis l'irruption de Neguib, de Nasser, du réveil arabe, les persécutions, la fin de l'Alexandrie cosmopolite et drôle.
Dimitris Stefanakis a fait un gros travail de documentaliste. Il est allé aux sources. Son livre est une mine d'or pour tous ceux que le mot "Alexandrie" fascine, et puis il y a ceux qui s'y intéresseront parce que Dhalida, Claude François, et bien d'autres... viennent de cette ville, comme aussi le grand poète grec Constantin Cavafis, dont Marguerite Yourcenar traduisit les poèmes.
Un livre pour rigoler et s'instruire. Comme il est gros, le lire, le reposer, le reprendre... Comme un feuilleton à épisodes.
15/20
Ce livre vient de recevoir le Prix Méditerranée 2011, le 9 juin.
Henry Zaphiratos
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