jeudi 28 juillet 2011

Stendhal a 18 ans : Extraits de "Vie de Henry Brulard"

Rue de Lille/ rue Bellechasse à Paris:

"Ce n'était rien que de loger chez M.Daru, il fallait y dîner, ce qui m'ennuyait mortellement.
La cuisine de Paris me déplaisait presque qu'autant que son manque de montagnes et apparemment par la même raison. Je ne savais ce qu'était que de manquer d'argent. par ces deux raisons, rien ne me déplaisait comme ces dîners dans l'appartement exigu de M. Daru.
Comme je l'ai dit, il était situé sur la porte cochère.
C'est dans ce salon et dans cette salle à manger que j'ai cruellement souffert en recevant cette éducation "des autres" à laquelle mes parents m'avaient si judicieusement soustrait.
Le genre poli, cérémonieux, accomplissant scrupuleusement toutes les convenances, encore aujourd'hui, me glace et me réduit au silence. pour peu qu'on y ajoute la nuance religieuse et la déclamation sur les grands principes de la morale, je suis mort...
C'était la contrainte morale qui me tuait.
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Qu'on juge de l'étendue de mon malheur ! Moi qui me croyais à la fois un Saint Preux et un Valmont des "Liaisons dangereuses, imitation de "Clarisse"( qui est devenu le bréviaire des provinciaux) moi, qui me croyant une disposition infinie à aimer et être aimé, croyais que l'occasion seule me manquait, je me trouvais inférieur et gauche en tout dans une société que je jugeais triste et maussade ! ...
C'était donc là ce Paris que j'avais tant désiré !
Je ne conçois pas aujourd'hui comment je ne devins pas fou du 10 novembre 1799 au 20 avril à peu près que je partis pour Genève.
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Un homme devait être selon moi amoureux passionné et en même temps portant la joie et le mouvement dans toutes les sociétés où il se trouvait... l'amabilité que je voulais était la joie pure de Shakespeare dans ses comédies, l'amabilité qui règne à la cour du duc exilé dans la forêt des Ardennes.
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Je mourais de contrainte, de désappointement, de mécontentement de moi-même. Qui m'eût dit que les plus grandes joies de ma vie devaient me tomber dessus cinq mois après !"
Pages 892-897 (La Pleïade)

Textes extraits par Hermès

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